Ze Wonderfoule Microsoft World

Banc Public n° 89 , Avril 2000 , Frank FURET



Présenté par la propagande Microsoft comme un génie de l’informatique, victime d’un onctueux attentat en 1998 du fait de l’Internationale Pâtissière, aux prises depuis un certain temps déjà avec la justice américaine, sujet à une enquête de la CEE concernant son système Windows 2000, Bill Gates est un homme assailli de bien des questions ces derniers temps.
Microsoft est le leader mondial des systèmes d’exploitation (cerveaux des ordinateurs en quelque sorte) et sa mainmise sur le secteur a parfois été comparée à celle de quelqu’un qui aurait licence et monopole sur la langue anglaise: imaginez-vous un Dieu qui toucherait une taxe chaque fois qu’un mot d’anglais est prononcé. Situation absurde.
Pour beaucoup, l’informatique, technologie appelée entre autres à améliorer l’organisation des sociétés humaines, la transmission du savoir, la gestion de données, l’efficacité de la recherche, bref à élever la convivialité et la qualité générale de l’humanité, devant être du ressort du public et non de l’intérêt privé.

NAÏVETE DU CONSOMMATEUR

De tous temps, nous avons été des consommateurs naïfs. Tous les jours en faisant nos emplettes, nous nous faisons niquer par quelque commerçant affable au sourire bienveillant. Pourtant, l’Arnaque, devant laquelle tous se pâment au nom de l’Emploi et du PIB, ne date pas d’hier. Vance Packard, vilain sociologue Américain, s’amusait très sérieusement, dans les années ‘60 déjà, à étudier les reluisants dessous de table de la puissante économie de son bon pays (1), et il remarquait alors: “Les améliorations que l’on peut apporter aux appareils existants sont de plus en plus limitées. Dès lors, la solution consiste soit à vendre des pièces de rechange, soit à vendre un second modèle à chaque famille, soit à fabriquer des objets appelés rapidement à péricliter et donc à être remplacés par d’autres qui auraient l’air d’être plus sophistiqués ou plus puissants”. Cet effort faussement créateur, également suscité par le désir de s’imposer dans la jungle des supermarchés, était alors ouvertement prôné par l’industrie américaine.
Dans une interview accordée au Soir en 98, Di Cosmo déclarait: “Il y a un tas de catastrophes qui arrivent dans le monde Windows ou Microsoft et que l”on met sur le dos du pauvre consommateur qui n’y est pour rien. Aucune garantie n’est fournie au consommateur qui se fait rouler dans la farine. S’il achète une voiture neuve et qu’au bout de trois minutes, le moteur explose, le consommateur appelle le concessionnaire, invoque les garanties et exige une autre voiture neuve. Dans le monde des ordinateurs, le comportement du consommateur est différent. S’il achète un ordinateur neuf qui ne marche pas, il se dit que c’est sa faute parce qu’il est nul en informatique. Il ne dit pas que c’est la faute du vendeur ou du fabricant, mais de la sienne. Un consommateur a déjà du mal à choisir un dentifrice ad hoc, alors comment pourrait-il décider en matière de logiciels?”.


REUSSITE DE MICROSOFT


La réussite de Gates n’est pas due, comme la légende essaie de le faire croire au bon peuple, à son génie informatique, mais à son sens des affaires. Microsoft s’est bâti en toute impunité une position de monopole en détruisant bon nombre d’entreprises dont les produits étaient de qualité supérieure tout en aliénant consommateurs, compétiteurs et distributeurs en se présentant comme le champion de la démocratisation du savoir.
Microsoft est en général peu critiqué sinon par anti-américanisme, par technophobie ou par fascination-répulsion pour son fondateur Gates. Ce que Di Cosmo et Nora(2) dénoncent, ce sont la mauvaise qualité des programmes Microsoft et la manière dont l’entreprise grignote la sphère d’Internet. Di Cosmo estime que Microsoft conçoit de mauvais produits qu’elle fait payer cher à des consommateurs qu’elle asservit; Microsoft méprise ses clients, piège ses concurrents et étouffe l’innovation, le rêve d’un progrès technologique accouchant d’un monde meilleur, plus libre et plus solidaire au profit d’un monde mercantile, étriqué et policier.
Microsoft a le talent particulier de toujours coller parfaitement au marché, ce qui n’a malheureusement rien à voir avec la qualité de ses produits. Cette entreprise a acquis au fil du temps une remarquable aptitude à transformer ses échecs techniques en succès commerciaux. Si les nouveaux logiciels sont souvent catastrophiques, l’artillerie lourde du marketing arrive à les vendre quand même, en attendant que les versions suivantes corrigent un peu les “bugs” pour en faire des produits plus stables, éventuellement en rachetant ou copiant les produits souvent meilleurs de ses concurrents.
Microsoft a réussi à faire considérer les défauts de ses logiciels comme normaux, et la correction de ses défauts comme des percées technologiques. Mieux, c’est le consommateur qui paie le processus d’amélioration. Exemple: la première version du tableur Excel contenait de telles erreurs de conception que Di Cosmo (prof d’informatique) aurait mis un zéro pointé à n’importe lequel de ses étudiants s’il l’avait écrite; or Excel tient aujourd’hui en France plus de 87% de ce marché. Le système d’exploitation Windows 3.0 avait 10 ans de retard sur le Mac OS d’Apple; ses successeurs Windows 95 et 98 contrôlent aujourd’hui 90% du marché; idem pour le Microsoft Internet Explorer qui a gobé 55% du marché en 4 ans. Dans tous les cas, explique Di Cosmo, les produits Microsoft étaient très nettement inférieurs à ceux de la concurrence, et dans certains cas le demeurent aujourd’hui.
Il est très facile d’imposer un mauvais produit en liant sa vente à celle d’un produit sur lequel vous avez le monopole. Si Microsoft avait conquis ces marchés loyalement, avec de bons programmes fabriqués dans les règles de l’art, si l’entreprise ne confortait sa puissance que par son excellence, personne n’y trouverait rien à redire.
La pub Microsoft se plaît à vanter ses logiciels comme le dernier cri de la technologie. Ici, on a deux mondes: d’un côté les gens qui n’y connaissent rien et qui se laissent facilement berner par les campagnes de Microsoft qui frôlent la publicité subliminale, d’un autre, les gens avertis, ceux qui peuvent soulever le capot pour regarder comment tournent les logiciels, et qui sont bien d’accord sur le fait que les programmes Microsoft sont mal conçus.
Logiquement, quand on développe un programme informatique, on développe d’abord des prototypes; après les avoir affinés un peu en interne, on obtient une version 1, encore trop instable pour être montrée à l’extérieur. Dans une 2ème étape, on supprime le maximum d’erreurs pour arriver à une version 2, qui est normalement donnée à des testeurs proches de l’entreprise, qui aident à détecter les derniers bugs.
Logiquement, on en arrive alors à la version3, celle qui sera pressée en CD et vendue en masse. Or, Microsoft se contente souvent de vendre la version 2 comme produit final. Exemple: Windows 3.0 était pratiquement inutilisable, il fallait tout le temps redémarrer sa machine; alors Microsoft a corrigé ses bugs et sorti Windows 3.1 que les utilisateurs ont dû acheter à nouveau. Ce sont les acheteurs qui servent de testeurs.


OBSOLESCENCE PROGRAMMEE


En tant qu’utilisateur, on est souvent obligé d’acheter de nouveaux produits et de s’y adapter pour faire les mêmes tâches. Mais il existe des entreprises dont les produits ne deviennent pas obsolètes aussi rapidement; l’obsolescence programmée est vraiment devenue une spécialité de Microsoft parce qu’elle est liée à la position hégémonique de cette entreprise. Pour un éditeur de logiciels, il existe deux façons d’augmenter son chiffre d’affaire afin de dégager des profits croissants: soit, il accroit sa part de marché, soit, quand le marché est saturé de ses produits (cas de Microsoft), il parvient à vendre de plus en plus souvent aux mêmes clients.
Il doit pour cela renouveler souvent ses logiciels; les nouvelles versions qui doivent sembler différentes sont enrichies de gadgets par forcément utiles que Microsoft présente comme des innovations. Cette constante évolution des produits présentée comme un gage de qualité constitue en fait l’imposition d’une véritable taxe monopolistique.
A chaque fois que Microsoft sort une nouvelle version d’un logiciel, il est plus gros et plus et plus lent; or, un système sophistiqué, développé avec un souci de qualité, nécessite au départ une quantité assez importante de ressources qui en revanche ne croîtra pas beaucoup avec les nouvelles versions. Par contre un système racheté et rafistolé à la va-vite est inévitablement destiné à s’alourdir énormément au fur et à mesure que Microsoft y rajoute, couche après couche, d’indispensables fonctionnalités qui n’avaient pas été prévues à l’origine.
De plus, les ordinateurs équipés par Microsoft sont plus vulnérables que les autres aux virus informatiques; dans le monde Unix les virus n’ont accès qu’aux fichiers utilisés et en aucun cas aux applications ou composants sensibles du disque; de plus, dans le monde Unix, les défauts de sécurité sont rapidement corrigés, alors que dans le monde DOS Windows, (comme dans le MacIntosh de Apple, d’ailleurs), un virus est un programme comme un autre: il se base simplement sur le fait que tout le monde a le droit de toucher au système d‘exploitation: il peut causer au système des dommages vitaux, modifier vos données, altère la façon dont fonctionnent vos applications, effacer entièrement votre disque dur etc—
De plus, et c’est plus grave, avec la dernière génération de logiciels Microsoft, sont apparus des macrovirus qui peuvent se transmettre entre machines de famille différentes: Microsoft a offert une plateforme standard aux virus. Certains experts ont bien tenté d’attirer l’attention de Microsoft sur ces graves problèmes de sécurité, mais Bill Gates n’a jamais réagi, comme si la lutte contre les virus était le cadet de ses soucis.
La communauté des informaticiens s’est exprimée assez tard: pour toucher le grand public, il faut écrire dans les revues de presse informatique mais les experts sérieux n’aiment pas côtoyer les marchands de tapis, et cela a d’ailleurs contribué à mettre en place un véritable cercle vicieux: dénuée de l’appui de ces experts qui la boudent, la presse informatique est devenue un écho peu crédible de la propagande des constructeurs. La communauté des informaticiens s’est de plus pendant longtemps peu souciée de ce que Microsoft berne le grand public, pour lequel elle avait une certaine condescendance. Aucun grand informaticien n’a vraiment pris la peine de faire ¾uvre de pédagogie.
Enfin, la communauté scientifique parvenait à échapper complètement aux ordinateurs personnels et à Microsoft. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas: nous risquons tous de nous retrouver avec un PC sur notre bureau et Microsoft cherche à mettre la main sur Internet, moyen de communication privilégié des chercheurs.
Aujourd’hui, si vous achetez votre machine en grande surface, vous n’échappez pas à Windows. La plupart des constructeurs expliquent que leur contrat avec Microsoft exige qu’ils vendent Windows avec chaque machine. En Europe, cette tactique dite de vente liée est pourtant tout à fait illégale.
La tactique de Microsoft est tendue vers la suppression de la concurrence. Le moyen le plus sournois et le plus efficace pour tuer les produits rivaux, c’est de mettre à profit “l’effet réseau”: quand un éditeur de logiciels détient à la fois le système d’exploitation (Windows) et les applications (Word, Excel, Explorer), il lui est alors techniquement possible de modifier le système d’exploitation pour rendre les produits concurrents instables ou inutilisables, tout en améliorant les prestations des programmes. Et une fois les produits concurrents inhibés, Microsoft n’a plus qu’à prendre le marché d’assaut avec ses propres logiciels.
De l’aveu même de Gates, Explorer était au départ de très mauvaise qualité; il était difficile d’augmenter les parts de marché sur les seuls mérites d’Explorer 4 on fit donc appel au levier du système d’exploitation afin de pousser les gens à utiliser Explorer au lieu de Navigator: Microsoft demanda aux constructeurs informatiques de préinstaller Explorer sur leurs machines, en série, en même temps que Windows 95, en faisant croire aux gens que Explorer était un “plus” donné par Microsoft.
Certains sites appartenant à Microsoft sont d’ores et déjà interdits aux autres navigateurs, comme Navigator, Lynx, OmniWeb ou Opéra.


Logiciel libre: LE SYSTEME LINUX


Di Cosmo prend parti, comme beaucoup d’universitaires, pour le logiciel libre, c’est-à-dire des programmes informatiques fournis avec leur “code source”, c’est-à-dire le code qui les compose, et les informations qui permettent leur maintenance. Conçus dans un esprit de partage par des milliers de programmeurs sur la planète, les logiciels libres sont la propriété collective de l’humanité. Linux est un logiciel libre, tout son code source est donné, on peut le télécharger sur le Web (gratuitement); et si on se le procure en magasin, on ne paie que la valeur ajoutée (gravage de CD, distribution, installation, assistance technique ou développement de solutions spécifiques).
Pour l’utilisateur, les logiciels libres présentent une foule d’avantages. Ils ont en général de meilleures performances, une plus grande robustesse que leurs équivalents commerciaux , ils sont disponibles à un prix modique ou nul, ils peuvent tourner sur de vieilles machines condamnées comme obsolètes par le cartel Windows Intel.
Le système d’exploitation Linux est assez résistant aux erreurs de manipulation des débutants: seules les personnes autorisés peuvent accéder aux composantes vitales du système. Le logiciel libre s’inscrit dans le concept plus vaste d’une informatique ouverte, c’est-à-dire qui organise l’interopérabilité des produits entre eux par la publication des interfaces techniques de chacun.
Créé en 1991 par un jeune Finlandais, Linus Torvalds, Linux est l’emblème du logiciel libre et est la propriété collective de l’humanité: il est librement modifiable et redistribuable, à condition préserver cette propriété. Il a de meilleures performances et une plus grande robustesse que ses équivalents commerciaux ; il est assez résistant aux erreurs de manipulation des débutants. Thorvalds, programmeur hors pair, s’est appuyé sur les outils GNU pour écrire le système Linux, parce que les systèmes d’exploitation qu’il pouvait faire tourner sur son PC 386 n’offraient ni le niveau de performance ni la sécurité du système Unix qu’il utilisait sur les puissantes machines de sa faculté. Au fur et à mesure que son chantier progressait, Thorvalds mettait le code source qu’il écrivait “en ligne” afin qu’il soit complété et peaufiné par les meilleurs programmeurs du monde, communauté de bénévoles.
Disponible aujourd’hui sur PC et MacIntosh, il a acquis rapidement ses lettres de noblesse: Linux a volé à bord de la navette spatiale américaine, a réalisé les effets spéciaux du film Titanic, gère le routage du courrier de la poste américaine, entre autres.
Avant Linux, les informaticiens étaient, pour la plupart, convaincus que l’écriture d’un logiciel de qualité nécessitait une approche privée et centralisée. Ils estimaient que le modèle de la cathédrale, avec un architecte autoritaire et un petit groupe de programmeurs dociles, était la seule manière sensée de concevoir un système d’exploitation. Et voilà qu’un gamin de 21 ans orchestrant à distance une cohorte de ‘68-tards de l’informatique prouve avec maestria la supériorité du modèle bazar grouillant et désordonné.
Ceci dit, Linux ne doit pas occulter la multiplicité des logiciels libres. Le logiciel Web Apache, le Netscape, le Sendmail , l’Internet Bind (les plus connus) sont tous leaders, pour l’instant en tout cas, sur leurs créneaux respectifs. D’une manière plus générale, les logiciels libres sont les poutres maîtresses d’Internet. Sans eux, le réseau n’aurait pas connu cet essor. Et si on les supprimait, il cesserait de fonctionner.
Pour Di Cosmo, la raison précise de la qualité des logiciels libres est que le moteur de leur développement n’est pas l’argent qu’on peut faire en les vendant, mais le désir d’écrire des programmes qui seront ensuite utilisés par le plus grand nombre. Bien sûr, il n’est pas certain que Linux enterre un jour Microsoft, mais le logiciel libre est peut-être celui de l’avenir: il n’existe pas d’entreprise assez riche, pas même Microsoft, pour lutter contre les talents conjugués des meilleurs programmeurs de la planète.
Mais un système d’exploitation ne peut gagner du terrain sans un environnement favorable; la force de Microsoft tient dans ces innombrables sociétés d’ingénierie informatique qui supportent ses standards ainsi que dans ces dizaines de milliers d’éditeurs qui créent des applications pour Windows. Linux ne dispose pas d‘un appui industriel et commercial aussi développé que celui de Microsoft.
Les entreprises qui utilisent Linux ne sont pas toujours prêtes à le crier sur tous les toits: le caractère presque gratuit du logiciel libre fait encore peur à la plupart des managers qui ne prennent pas le temps de réfléchir aux vrais avantages que cela peut leur apporter. Ou parce que les responsables de ces entreprises ignorent la présence de ce logiciel libre.
Ce sont souvent les informaticiens de base, à qui l’on donne une mission ambitieuse et un budget réduit, qui plébiscitent Linux. Un nombre croissant d’industriels ont pourtant introduit Linux au coeur même de leurs produits (ascenseurs, bornes Internet, robots). Linux veille sur des millions de dollars de certaines grandes banques New-Yorkaises, gère les entrepôts de l’Oréal, contrôle les pompes et caisses enregistreuses de stations-service Shlumberger, suit le fonctionnement d’ascenseurs Fujitech, équipe les réseaux d’entreprise Ikéa. Mercedes-Benz, Sony, Philips, Alcatel, Cisco l’utilisent également.


PROBLEME POLITIQUE?


Les services européens de la concurrence ne sont pas inactifs du tout, estime Di Cosmo, mais l’Europe ne fait rien officiellement, avant de connaître l’issue du procès antitrust aux Etats-Unis. Ce serait difficile d’imposer à Microsoft une chose aux Etats-Unis et son contraire en Europe. Ce qui lui paraît moins normal, par contre, c’est l’attitude passive des gouvernements qui reçoivent Bill Gates comme le messie des nouvelles technologies. Les Etats ne semblent pas avoir compris les vrais enjeux de ces combats. Pire, ils ignorent apparemment qu’ils ont un rôle important à jouer dans l’avenir d’une technologie qui est porteuse de tant de promesses pour tous, mais aussi de tant de dangers si elle est dévoyée et mise au servie d’intérêts particuliers.
Les pays de l’Union Européenne sont à la traîne en ce qui concerne la reconnaissance officielle de l’importance du phénomène du logiciel libre. Or, la modicité des coûts et la maîtrise absolue du logiciel libre semblent en faire une solution idéale pour le monde de l’éducation; pourtant le système que certains proposent d’installer pour mettre en place l’infrastructure informatique de réseaux pour les écoles et les universités est Windows NT, alors que de grands cabinets d’études internationaux comme le GartnerGroup, le Standish Group ou l’Aberdeen Group commencent à publier des études qui contredisent ouvertement les arguments de Microsoft et exposent les risques et les coûts énormes qui se cachent derrière toute opération de remplacement des serveurs actuels par des serveurs Windows. Par exemple, Windows NT n’est pas compatible avec les standards de l’Internet qui sont utilisés pour la maintenace à distance.
Ceci dit, Linux n’est pas encore mur pour un usage très grand public. Ce système d’exploitation, estime Di Cosmo, ressemble à un moteur de Ferrari emballé dans une carrosserie vieillotte, alors que Windows cache un moteur qui explose tous les cent kilomètres sous une carrosserie rutilante. Toutefois, on travaille activement pour accroître la convivialité de Linux.
Di Cosmo est stupéfait de l’aveuglement politique sur ces questions; pour certains, l’informatique reste un sujet technique à la mode mais peu intéressant, comme s’il s’agissait de choisir un traitement de textes. Et ceux qui ont compris les vrais enjeux de la société de l’information se laissent trop souvent aveugler par la propagande des marchands de logiciels. Pourtant, les gouvernements pourraient faire des économies colossales en choisissant le logiciel libre pour leur propre usage.
Les gouvernements européens gaspillent des centaines de millions de francs pour “subventionner” une entreprise américaine dont les filiales européennes sont essentiellement des canaux de distribution. Au delà de ces questions de gros sous, il y va aussi de notre indépendance. Il s’agit d’une occasion unique de s’affranchir quelque peu du monopole technologique détenu par les multinationales sans scrupules, et de fournir à nos entreprises tout comme à nos écoles un avantage stratégique.
Pour Di Cosmo, il semble urgent que l’Europe développe une politique active et indépendante dans le domaine de l’information en général. Elle en a les moyens techniques, mais ce qui manque pour l’instant est une réelle volonté politique qui pourrait se développer par exemple avec la création d’une agence européenne pour le logiciel libre et les standards ouverts; une telle agence pourrait être composée de scientifiques partageant l’ambition d’aider les efforts des internautes en vue de construire une plateforme ouverte de qualité pour des systèmes informatiques interopérables.
Le choix d’un système ouvert et libre peut supprimer la taxe prélevée par Microsoft sur l’information. Ces centaines de millions de francs qui ne partiraient pas dans les poches de Microsoft pourraient être affectés à des activités plus utiles. Remarque en passant: Di Cosmo ne tombe pas dans l’anti-américanisme primaire. Pour lui, il n’existe pas de conflits d’intérêts entre l’Europe et les States: les enjeux d’une informatique ouverte, et le risque de voir un monopole privé étendre sa mainmise sur tous les maillons de la chaine de l’information sont les mêmes pour tous, indépendamment de la localisation géographique du siège du monopoliste. C’est bien un défi qui concerne l’humanité toute entière.
Di Cosmo estime que le sursaut ne peut venir que du grand public. A voir les signaux envoyés par la sphère politique, la réaction ne viendra pas de là. La prise de conscience collective viendra plutôt des opinions publiques, de la communauté des internautes, des citoyens en général, de ces millions d’usagers marginalisés, manipulés et méprisés par Microsoft, qui en auront leur claque d’être traités en vaches à lait et en cobayes juste bons à se taire et à payer pour des logiciels bâclés.
Le système Linux, système performant, bénévolement développé par des informaticiens très compétents, mis gracieusement à la disposition des utilisateurs, fer de lance, pourquoi pas?, d’une société moins con- mais plus -viviale, donnera peut être à réfléchir à tous ceux qui ont entériné l’idée que tout ce qui se fait de sérieux l’est dans une optique de rentabilité, concept bizarrement élevé à la qualité de source transcendante du génie de l’espèce. Dans ce monde persuadé de l’utilité prééminente de l’entreprise qu’il perçoit comme sel de la terre, seul créateur d’activité, nombril de la vie internationale, en cette période où, toute émoustillée encore d’avoir enregistré l’échec des régimes communistes étouffant l’initiative individuelle, la buro-technocratie aux commandes a, assez bêtement, décidé de nous faire choir dans le travers inverse, l’alternative basée sur les notion d’intérêt général et d’utilité collective durable de Linus Thorvalds et de ses nombreux “collaborateurs” internautes méritait d’être signalé, non?


Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

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(1) Vance Packard: ”L’Art du gaspillage ”, Calmann Lévy, 1960

(2) Roberto Di Cosmo et Dominique Nora: “Le hold up planétaire ”, Calmann Lévy, 1998

Voir aussi:

Trop chers , les logiciels: Les étudiants trouvent les softwares `officiels´ bien trop onéreux... et adoptent Linux. La Libre Belgique, 18/12/2002

 
     

     
   
   


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