La mutation du corps social

Banc Public n° 184 , Novembre 2009 , Kerim Maamer



Aujourd’hui, la rémunération est impérative. Nul en Occident ne pourrait vivre sans un minimum de ressources d’argent. Nos intérêts sont nécessairement mêlés à un équivalent numéraire, pour satisfaire nos besoins vitaux de logement, de nourriture, de vie sociale… Il n’est plus possible de vivre une vie sans ressources financières. Les citoyens «sans emploi» bénéficient d‘une allocation de chômage. Ceux qui vivent en Belgique, sans accès aux ressources et aux droits du travail, sont aidés par les caisses publiques et les mutuelles. Les autres sont conscients de l’instabilité et du risque de perte d‘emploi. Les économistes s’accorderaient à reconnaître que le chômage va continuer à augmenter. Les prochaines années ne sont donc pas à l’optimisme. Cela signifie que les pouvoirs publics seront appelés à subsidier les augmentations des coûts du chômage, mais aussi de la santé, de la vieillesse, de la pauvreté…

L’équation publique

L’État se trouvera face à une équation où les dépenses en augmentation croisent des recettes en diminution, dans un contexte de décroissance économique où l’assistanat semble plus facile que l‘entreprenariat... Pour résoudre cette contradiction, on imagine une pratique de pression sur la population active par des taxations sur le patrimoine, le carbone, la consommation… et des risques de dérives pour dénoncer les chômeurs - pauvres - vieux - inactifs - étrangers - fonctionnaires - syndicats – associations, etc.
Et si on décompressait l’équation publique? Si la solution n’était pas mathématique, mais que la Philosophie pourrait contribuer à des réponses sur les déficits publics? Et si on se rappelait de l’intérêt primaire, d’une théorie des besoins, de leur hiérarchisation, d‘une responsabilité collective pour assurer ces choix. N’est-ce pas là, un abécédaire de l’économie?
De tous temps, l’homme a les mêmes besoins vitaux. Ceux d’aujourd’hui bénéficient de l’aisance matérielle, de la productivité, de l’accès aux nouvelles technologies; comme ceux d’hier bénéficiaient d’un environnement plus sain, avec une nature abondante, une proximité dans les relations humaines, une cohésion communautaire harmonieuse et un certain bien-être. En définissant le concept de bien-être, actualisé à notre collectivité, avec une hiérarchisation des besoins, des priorités, la manière de les satisfaire… notre collectivité gagnerait en cohésion sociale, et contribuerait aux économies d’échelle. Le renforcement des structures sociales renforcerait la cohésion des individus. La rationalisation des besoins diminuerait les flux financiers. Une politique de bien-être en faveur de groupements renforcerait la cohésion des individus et contribuerait aux économies publiques.
Les structures de la société se sont dégonflées, jusqu’à une atomisation des individus, liés par des relations humaines fortement monétarisées. Pourtant, nombre de personnes déclarent «ne pas aimer l’argent», qui «corrompt les esprits», les «mentalités»… or, ces mêmes personnes réclameraient leur indispensable numéraire, pour satisfaire à leurs besoins vitaux, et vivre dignement, même une vie malheureuse. Dans un cadre de paupérisation, il conviendrait d’encourager les regroupements de personnes minorisées; de satisfaire leurs besoins, comme dans une famille, un home de personnes âgées, un club de vacanciers, une caserne ou une structure communautaire! C’est la rationalité d’une économie de production, de consommation et de financement.

La location de prisons hollandaises est un exemple de philosophie de gestion, qui aboutit à des gains pour les uns, et des coûts pour les autres. Le gouvernement belge va louer des cellules en Hollande pour y installer ses détenus.

L’idée de l’étranger n’est pas originale puisqu’autrefois on envoyait les criminels purger leur peine au bagne. Ce qui l’est, c’est l’insuffisance de prisonniers en Hollande et le manque de prisons en Belgique!
La différence est dans la stratégie publique. Les uns réintègrent leurs condamnés par des obligations de réparation, par le travail, libèrent des cellules et gagnent des loyers. Les autres désintègrent leur corps social, augmentent leurs coûts, appellent au financement des prisons... Au microcosme du social, il est possible d’observer les coûts/déficits de cet exemple pour les infrastructures et le personnel, l’équilibre psychique et la re-intégration, la compétence et l’accès au travail, réparation et récidive, dé-production et contribution sociale… La stratégie des uns est gagnante, celle des autres, perdante sur tous les tableaux.

Collectivisation des besoins

Karl Marx avait analysé les conditions de production lors de son époque, avant la 2ème révolution industrielle. Il observait les contradictions intenables du capitalisme et soutenait que les conditions de production portaient les valeurs d’une société… Il appuyait l’interventionnisme de l’État contre la société bourgeoise, soutenant sur une base «scientifique» la construction d’une société «communiste» idéale à laquelle aspirent les populations. Les valeurs humaines y seraient plus justes et cette conception devait s’imposer  internationalement.
Le marxisme a été contesté lorsque des pays se sont déclarés de cette idéologie, pour imposer l’État exclusif. Mais le marxisme demeure une extraordinaire conception d’analyse qui a sa pertinence scientifique. La mise en place du communisme s’est avérée peu démocratique, avec des dérives d’autoritarisme, des déficits de libertés, des lacunes de gestion et de production pour satisfaire les besoins vitaux. Tandis que le monde occidental poursuivait croissance économique et progrès matériel, la divergence des idéologies prit l’allure d’une confrontation mondiale Est-Ouest. Les régimes communistes sont dénoncés et méprisés via l‘arrogance matérielle. La «chute du mur» de Berlin fut appréciée comme une victoire contre ce système, sa dictature, son oppression, ses atteintes aux libertés… En réalité, cette chute fut le résultat d’une stratégie politique de conquête idéologique grâce à laquelle l’Europe gagna son extension vers l‘Est. La mémoire tait volontairement les satisfactions de bien-être, réalisées par les politiques collectivistes dans l’habitat, la santé, l’éducation, le sport… indifférente à la pratique d’un capitalisme d’État. Ce capitalisme des communistes ne perçoit pas de contradiction avec l’économie marchande. D’ailleurs, tous leurs régimes (à l’exception de la Corée du Nord) ont adhéré à l‘OMC. Seuls des groupements alter-mondialistes manifestent en Occident contre les implications du commerce mondial. Ce capitalisme des communistes est fortement imprégné de l’organisation communautaires, d’ouvriers qui vivent - travaillent - produisent au service d’une entreprise.
Marx demeure le savant le plus référencé, tant son constat établit les bases d’une observation scientifique de la société. L’échec du «collectivisme» ne signifie pas un désintérêt pour les politiques «collectivistes». Cette organisation est une forme naturelle de la vie sociétale, soucieuse de sécurité, de rationalisation des besoins, de gestion des relations existentielles, de toujours et de partout. Or, elle se fond dans la structure du corps social, du fait de l’individualisme, d’une atomisation des ménages, de la disparition des familles, des structures… et se minorise dans les processus de production, de consommation réalisés à l’échelle globale, faisant du monde un énorme village. Un coin continental produit pour le monde lorsque les ressources d’un autre sont mises au pillage; que la Chine devienne l‘usine du monde lorsque les ressources du ban d’Arguin sont pillées sans vergogne. Ces atteintes aux ressources et au patrimoine de la planète sont irrémédiables. C’est pourquoi le marché et la favorisation de la croissance ne devraient pas dicter leurs lois. Dans cette phase de paupérisation qui va se poursuivre, la pratique «collectiviste» en faveur de groupements minorisés trouve son intérêt humain et financier. Nous aimerions évoquer la situation des chercheurs d’emploi. Le chômage est une préoccupation importante. Il atteint 5 à 10% de la population active. La réalité semble quasi-permanente et… croissante. Elle concerne souvent des personnes compétentes et qualifiées. Pourquoi et comment une collectivité peut-elle se priver de ce capital en ressources humaines? Pour le comprendre, il faut se mettre dans la peau d’un chômeur.

C’est l’objet de notre prochain article: «Quelle gestion des chômeurs»?


Kerim Maamer

     
 

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