LE TRAVAIL : Donnée économique ou réalisation humaine ?

Banc Public n° 217 , mars 2013 , Kerim Maamer



En cette fin d'époque, la notion de « travail »  en science économique a pris un sens  restrictif, celui de l’actif  rémunéré. Pourtant, le travail est objet de la vie. Quotidiennement, nous tous fournissons du travail pour vivre : cuisiner, faire la vaisselle, donner à manger aux poules ou cultiver son potager.

Toutes ces activités de travail supposent une éducation, des connaissances, des aptitudes, voire des compétences, mais elles n’entrent pas dans le calcul du PIB. Le travail n’est considéré que lorsqu’il se prête à autrui, pour une rémunération de type professionnel. Quelle réflexion peut-on porter sur le travail, son objet, sa fonction, son intérêt, sa réalisation, son résultat ?

 

 

Le travail est un  souci principal de politique économique puisque le poids de la « population active » assure dynamisme, prospérité et fonctionnement du système. L’Etat aimerait englober ou formaliser tout le travail et il se rapproche de cet objectif. Le travail informel, dit « noir », est sévèrement sanctionné parce qu’il échappe à la protection des travailleurs et à leurs cotisations qui pérennisent le système économique. La professionnalisation de certaines activités humaines a contribué encore à la formalisation du travail. Autrefois mêlées à des obligations dans l’ordre familial, les activités de services à relation affective, de communication,  d’entretien, d’accompagnement, de conseil, de soutien psychologique… ont peu à peu quitté le cadre privé de la  famille ou du voisinage, pour devenir d’intérêt public et social. Outre une dilution des liens de famille, ces activités liées aux soins de la personne ont ouvert un nouveau champ professionnel. Dans le même temps, les conditions de l’emploi se sont transformées. Les mécanisation / informatisation / robotisation ont modifié le rapport physique à la production et la relation à l’entreprise, nourrissant ainsi le chômage structurel. L’analyse pointilleuse montrerait une transformation des conditions de l’emploi, avec la diminution relative de l’offre dans la sphère masculine de l’emploi. Tandis qu’augmente l’offre d’emploi à disponibilité féminine.

 

 

Dynamique du travail

 

Au départ, le travail était vu comme une sanction de Dieu, pour punir Adam et Eve d’avoir exprimé leurs besoins, l’une pour une pomme, l’autre pour sa demande de cueillette. Dieu renvoya les amants du « jardin  d’Eden », les obligeant à se nourrir à la « sueur du front » et  « d’enfanter dans la douleur » ! L’intrigue des fils d’Adam fut toujours de faire revivre le paradis de l’Eden dans la vie, en recherchant  le moyen de s’épargner le travail! Cette volonté de se libérer du travail est donc bien enracinée dans la nature de l’homme, en même temps qu’elle fut une dynamique de l’économie. Satisfaire ses besoins en fournissant le moindre des efforts semble être une préoccupation majeure des humains, qui a été source de créativité, d’invention, de technique, de production, de  productivité. Cette dynamique a déterminé les formes de l’organisation sociale, tantôt basée sur la mise au travail par l'esclavage, le servage, l’exploitation ouvrière, le salariat... tantôt par l’éducation aux valeurs,  rites,  normes…tantôt par l’invention, la créativité, la technique… tantôt par le développement de modèles économiques pour satisfaire les besoins d’une peuplade, d’une communauté, d’une tribu ou d'une classe.

Idéologie du travail

 

Les systèmes idéologiques ont légitimé le travail, au service des autres. Des philosophies religieuses, intellectuelles ou politiques ont appelé à l’accomplissement de l’homme par la spiritualité, la quête de bonheur, la solidarité du clan ou la production économique.  Le sujet reste d’actualité, sauf que le travail a pris le sens d’emploi rémunéré. Ce dogme de l’intérêt vital du travail est bien imprégné dans l’esprit des gens. Tout individu doit travailler, pour avoir une rémunération et prendre place dans la société. La course commence dès l’école, pour permettre à l’individu d’acquérir les bases intellectuelles, obtenir des compétences, développer un savoir-faire afin de trouver un emploi bien rémunéré. On dit même qu’il est le moyen de se libérer de la tutelle. Nul doute que les illusions sont trompeuses. Pour une majorité, le travail est une contrainte sociale à laquelle certains ajoutent l’aspect pénible ou  déplaisant. Ni les grands principes philosophiques, ni le suivi d’un cursus académique ne sont garants de succès professionnel. Les emplois les moins pénibles mènent parfois à l’ennui, au stress, à la dépendance, ou à d’autres formes d’aliénation…  Tandis que des réussites financières ont leurs secrets dans l’endurance et l’adaptation. La satisfaction sublime est de confondre la passion et l’intérêt professionnel. Un importante minorité parvient à cet objectif.

 

Dans cet engrenage, on peut légitimement s'interroger sur le but de la société, d’autant qu’il nous oblige à la croissance permanente et à la destruction permanente des ressources de la vie et de la nature. Peut-on évaluer l’utilité du travail d’un point macro-économique ? Peut-on mesurer son coût réel ? Une telle équation montrerait une dramatique atteinte à l’environnement vivant.  Dame Nature paie un lourd tribut au fonctionnement de l’économie, qui n’est jamais considéré, et qui rejaillira nécessairement sur les générations futures. Peut-on renoncer au  travail ? L’intérêt d’une théorie des besoins permet de considérer les équilibres d’une population avec son environnement et de réaliser des économies budgétaires.

Imagination prisonnière

 

De multiples épisodes historiques révèlent des contestations/ révoltes/ violences contre le travail et l’exploitation , la condition humaine et la domination politique. La dernière révolution anti-matérialiste concerne les évènements de mai 1968. Au moment où l’économie criait sa gloire, un mouvement social affrontait l’idéologie économique du système dominant. Au cours des années soixante, lorsque l’économie tournait à plein régime, que le plein emploi était assuré, que nos gouvernants appelaient à la production… les jeunes idéalistes critiquaient le matérialisme, avec son modèle de production industrielle. Ce mouvement  philosophique voulait valoriser d’autres spiritualités pour organiser de nouvelles formes de vies. L’ambition des soixante-huitards échoua face au rouleau compresseur du capitalisme. Très vite, les membres de cette jeunesse ont réintégré l’économie de marché et les vertus de la production, sans même garder à la conscience les valeurs de société, qu’ils perdaient à jamais.

 

Quant à la prochaine révolution, elle aura pour enjeu d’assécher l’environnement naturel de la planète et de ses ressources. Il est très impopulaire et périlleux de contester le travail, même si on démontre sa nuisance sur l’environnement et son inutilité sociale. A quoi sert-il de faire du travail inutile ? A quoi sert-il de produire, puis de détruire gratuitement des ressources ? Pourquoi ne pas consacrer ses énergies au plaisir, à la gestion de ce que nous possédons, au recyclage de ce que nous ne voulons pas brûler ? Notre législation ne va pas dans ce sens, dans le but d’assurer la continuité des salaires qui détruisent notre environnement. Nous vivons aujourd’hui une phase révolutionnaire, de transformation du système social et économique. A l’exception de l’Islande et de la Suède, aucun pays ne fait preuve d’innovation. Aucun ne cherche inspiration sur le modèle chinois ou ancestral.

 

Etats en crises budgétaires

 

Un grand nombre de pays font face à des difficultés budgétaires. En Belgique, le gouvernement d’Elio Di Rupo  a considéré le poids financier du chômage dans les finances publiques ! Il croit parvenir à des économies budgétaires en pointant une responsabilité des chômeurs. Un secrétariat d'Etat a été désigné pour contrôler l’éventuelle fraude sociale ou l’insuffisance d’engagement dans la recherche d’emploi. Il n’est pas donné mission au secrétaire d’Etat d’ordonner au travail, ou de réquisitionner ces forces du travail, ou de vérifier les conditions pour l’emploi, ou de transférer les activités d’entreprise, ou d’offrir de nouvelle formes d’entreprises… mais d’exclure des individus de leur ressource de survie, qu’ils iront nécessairement remplacer dans les caisses de l’aide publique ou des soins de santé. Pour l’Etat, la dépense reste similaire, sauf qu’on aura excité au labeur inutile de certains fonctionnaires.

 

Si les coûts du chômage paraissent élevés, ils le sont tout autant, ou encore plus pour les aides sociales, les services juridiques, ou encore plus pour le financement de la sécurité sociale et de la fonction publique, ou toujours plus pour l’appui au secteur bancaire et au service de la dette. En d'autres temps, lorsque les gouvernements européens se sont attaqués aux soins de santé, à la fonction publique, ou aux travailleurs… ils ont affronté de violentes grèves sociales. S’attaquer aux chômeurs peut leur paraître facile. Le front des sans emplois est nettement moins uni. Les syndicats ne parviennent pas à les rassembler pour les représenter et défendre leurs intérêts, tant ce groupement est instable, destructuré, constitué de personnes isolées et non intégrées. La catégorie est d’ extrême fragilité. Nous risquons de provoquer des désastres individuels, des drames humains, qui s’exprimeront par l’expulsion, la violence assassine, ou l’immolation comme expression revendicatrice de souffrance qui s’exposerait dès 2014.


Kerim Maamer

     
 

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