Les affaires sont les affaires(4): Le charme discret de l’élevage du cochon

Banc Public n° 168 , Mars 2008 , Frank FURET



Les 50 dernières années ont vu la production de viande passer de 5 à 20 milliards de têtes de bétail. Une ferme industrielle peut compter jusque 30000 têtes. Les USA  produisent annuellement  60 millions de  vaches,  100 millions de porcs, 300 millions de dindes et 7,6 milliards de poulets.
Ces chiffres enthousiasmants ont malheureusement un coût environnemental tout aussi impressionnant. Dans les 11 états de l’ouest américain, par exemple,  70% des ressources d’eau  sont englouties par l’élevage du  bétail, les éleveurs puisant directement  dans la plus grande réserve phréatique   des USA,  accélèrent la désertification  constatée dans de nombreuses régions. La surproduction de céréales entraîne une surexploitation du bétail qui nécessite de plus en plus de grain. L’agriculture s’est donc industrialisée et recourt massivement  aux herbicides et aux pesticides.

Dead zone

En Louisiane, où la vie aquatique est devenue impossible sur des zones immenses, c’est une véritable hécatombe qui se produit. Pendant près d’un siècle, Le delta du Mississipi a été la poubelle de l’industrialisation. Depuis 30 ans, et l’apparition des engrais chimiques à base d’azote - dont 50 à 70% s’échappent dans l’environnement via l’eau d’arrosage - leur taux d’utilisation a été multiplié par 16. En cause, la culture du maïs, céréale principalement destinée à l’alimentation du bétail, qui nécessite énormément d’azote.

Fécalisation

La pollution qui tue lentement les côtes de la Louisiane tient également à la non-gestion des déchets  produits par les millions de têtes de bétail: c’est qu’une vache produit 30 kg d’excré­ments par jour, et elles sont pas loin de 60 millions. La volaille produit, elle, 6 milliards de tonnes de déjections par an.
Mais le vainqueur incontesté, toutes catégories, de cette fécale production, reste le porc: concentrés par dizaines de mille dans des «fermes» et des exploitations comptant parfois jusque 500.000 têtes, leur production fécale ne passionne évidemment pas le public. A tort. Car en plus de s’attaquer à notre santé, cette viande est produite avec un coût colossal sur l’environnement.

Merveilles de la rationalisation

Les cochons rendus fous par la chaleur et la promiscuité, se transforment en cannibales; mais une solution aurait été trouvée: on arrache à présent - sans anesthésie - les dents aux cochons, toujours aussi déphasés et agressifs, et on leur coupe la queue, qu’ils ont tendance à se grignoter les uns les autres pour se distraire.
En plus de les bourrer d’hormones de croissance, les éleveurs les aspergent  d’insecticides et les shootent aux antibiotiques, afin de protéger leur capital sur pattes.

Les truies sont traitées aux hormones et aux stéroïdes pour augmenter les portées et stabiliser leurs cycles de fécondité. Certains scientifiques pointent du doigt, non seulement des pesticides, herbicides, fongicides, fertilisants, couramment utilisés en agriculture, mais également des hormones d'origine animale - provenant des déchets agricoles qui se déversent dans les rivières - les soupçonnant de féminiser des mâles, de viriliser des femelles et de réduire la fécondité de diverses espèces de poissons, mollusques, grenouilles, etc. Ces produits nuiraient aussi à leur développement, à leur immunité, et favoriseraient les tumeurs.

On les soupçonne également d’avoir des effets sur la santé des consommateurs, comme la raréfaction des spermatozoïdes ou la multiplica­tion des cancers du testicule, du sein et de la prostate. Sans compter que le  recours massif et constant aux antibiotiques rend peu à peu la batterie de remèdes  à notre disposition inefficaces contre les bactéries véhicu­lées par les animaux, phénomène dont les effets les plus visibles se limitent actuellement à une recrudescence de gastro-entérites compliquées à traiter.

Le rose délicat des lagons

L’élimination des déchets de porcherie est un véritable casse-tête dans les pays à forte densité démographique comme les Pays-Bas et la Belgique, mais aussi au Danemark, au Japon et en Corée.

Aux États-Unis, dans un certain nombre de comtés parmi les plus gros producteurs de porcs, les quantités d’azote rejeté dans le lisier dépassent la capacité d’assimilation de toutes les terres cultivées et de tous les pâturages du comté. Dégradation des écosystèmes aquatiques, nuisances olfactives, pollution de l’air par les émissions d’ammoniac, impact sur la qualité du sol et la biodiversité, telles sont les conséquences environne­mentales de la production porcine.

Les terrains entourant les exploitations ne sont plus assez vastes pour recycler les déjections porcines annuelles.  Comme l’épuration est compliquée et chère, l’industrie a préféré opter pour le lagon, qui 10.000 m² pour 9 m de profondeur.  Ils sont remplis jusqu’à la gorge, ensuite on en creuse d’autres.
Le mélange parfumé, d’une couleur rose est constitué d’excréments, d’urine, de sang, de cadavres de porcs et porcelets et de millions de bactéries.

Avant d’empoisonner  l’air, l’eau  et la terre,  le liquide visqueux est récupéré sous la porcherie, dont le sol est constitué  de traverses de métal espacées qui laissent passer les déchets mais aussi les cadavres des porcelets  écrasés sous le poids des truies,

Beaucoup plus toxique que du simple purin,  cette épaisse mixture rose et visqueuse contient, entres autres, du monoxyde de carbone, du phosphore, du cyanure, du sulfure d’hydrogène, du méthane, de l’ammoniaque et des nitrates, une centaine d’agents patho­gènes  microbiens tels la salmonelle. Un seul  petit gramme de la substance des lagons peut contenir  jusqu’à 100 millions de bactéries coliformes, qui une fois introduites dans l’eau potable, peuvent transmettre le choléra. Le FACE, l’organe gouvernemental américain d’évaluation et de contrôle de la létalité, a constaté un nombre impressionnant de décès suite à des asphyxies de travailleurs des lagons.

La matière fécale des porcs n’a pas toujours été  aussi dangereuse. Le  changement a eu lieu dans les méthodes d’élevage : des milliers de porcs sont entassés, empêchés de voir la lumière, de respirer l’air frais ou de se mouvoir librement. C’est la promiscuité liée à la concentration industrielle  qui a rendu cet animal -naturellement sociable et propre, contrairement aux préjugés - toxique, en entraînant la prolifération des parasites, microbes, champignons, allergies et autres pathologies qui obligent les porchers à user et abuser de la pharmacie.

Commercialement correct

En 1990, l’ouragan Floyd a causé une catastrophe écologique 2 fois plus importante que celle de l’Exxon Valdez: les éléments déchaînés ont entraîné 500.000 millions de litres d’excréments dans les rivières de la Louisiane. La vie aquatique ne s’en est pas encore remise: 15 ans après,10 millions de poissons ont disparu, l’eau est impropre à la consommation et dangereuse pour la baignade.

Pour Smithfield Foods, propriétaire des lagons, cet ouragan a été une véritable bénédiction: l’ouragan a vidé les lagons et il n’a pas été nécessaire d’en creuser d’autres .Numéro 1 du porc aux USA et société la plus polluante des USA, selon l’Environne­mental  Protection  Agency, Smithfield  Foods a commis plus de 6.000 infractions aux codes protégeant l’environnement, parmi lesquelles 64 sont devenues des amendes dont le coût ridicule fait sourire Joseph Luter lll, le propriétaire de l’entreprise.
C’est que le succès financier de la compagnie lui permet de contribuer aux campagnes de certains candidats aux élections, qui sont fort opportuné­ment opposés à toute régulation handicapant l’industrie animale, ou bien d’organiser des campagnes contres les candidats anti-porcs.

Chevaux de Troie à l’Est?

Joseph Luter lll rêve aussi de modifier l’environnement européen et mondial: il s’est déjà installé en Pologne où la concentration d’élevages à bas prix a poussé à la faillite les porcheries locales et obligé les riverains des exploitations à supporter l’odeur terrible qui imprègne l’air. Smithfield a beau déclarer “obéir à la législation polonaise et à des pratiques agricoles sûres”, en 2003, un lagon s’est déversé  inopinément dans le système d’eau potable: le lac a pris une jolie couleur marron et certains habitants ont  développé  des infections cutanées et oculaires.

Heureusement pour ses cadres et ses actionnaires, tout ceci  n’empêche pas Smithfield Foods d’être satisfait de son expérience polonaise et de vouloir s‘installer en Roumanie. Signalons aussi que Smithfields ne s’est pas prise de compassion pour les problèmes alimentaires de l’Europe de l’Est: la compagnie souhaite envahir, sous des dizaines de marques et de labels différents, à bas prix étant donné le très intéressant niveau, le très lucratif marché de l’Europe de l’Ouest.

Les cochonneries du Québec

Au Québec, sept millions de cochons sont dépecés chaque année en 480.000 tonnes de viande, dont la moitié est exportée vers les marchés étrangers. Ce qui fait 7 millions de tonnes d’excréments: les charges d'azote, de phosphore et de carbone contribuent à la prolifération des plantes marines et des phytoplanctons qui consomment une part importante de l'oxygène marin. Les déjections de cochons s’infiltrent dans les sols, polluent les nappes phréatiques et les cours d’eau et amènent des micro-organismes, responsables de diverses intoxications chez l’être humain dont certaines mortelles. Le procès de la tragédie de Walkerton (7 morts par intoxication par l’eau de distribution) a révélé que les bactéries E.coli,  responsables de la mort de résidents, provenaient de fumier rejeté par les élevages qui avait contaminé l’eau souterraine.
Selon le docteur Benoît Gingras, responsable du dossier des engrais animaux pour l'ensemble des départements de santé publique du Québec, l'odeur aussi peut être dangereuse: «Les gens qui sont exposés à des odeurs provenant des élevages concentrés - et de façon fréquente - sont susceptibles de développer des problèmes de santé mentale, de détresse psychologique, de colère, etc. Et quelques études récentes évoquent des effets sur le système respiratoire».


Un problème français.


La  Bretagne avec plus de 15 millions de porcs, concentre 57% de la production française. La pollution des rivières et des nappes phréatiques par les nitrates issus du lisier empoisonne toute la péninsule, à tel point que les agriculteurs parlent de pollution irrémédiable de 60% des sources d'eau, et de sols où les légumes seront impropres à la consommation. Les déjections porcines représentent 33 millions de litres de lisier déversés en Bretagne et 57,5 millions en France - chaque jour.
Le député UMP Marc Le Fur, membre du «Club des amis du cochon» à l’Assemblée nationale, aussi appelé  «le député du cochon» se bat comme un beau diable pour que les porcheries industrielles aient un bel avenir.  Pour lui, « Les producteurs de porc sont de véritables chevaux de course entravés dans leur envie d’entreprendre et leur volonté d’être compétitifs». Il concocte régulièrement de nouveaux projets de loi, contestés par les défenseurs de l’environnement. En 2005, à l’occasion d’un débat parlementaire, Marc Le Fur et trois amis députés ont même tenté de faire passer un amendement révolutionnaire qui, selon l’association eau et rivières, «revenait à interdire tout contrôle inopiné et à empêcher les agents de terrain de verbaliser les infractions qu’ils constataient à l’occasion de leur mission. Cet amendement aurait permis aux exploitants en infraction ou responsables d’un accident de pollution (…) de masquer les preuves et de tenter de dissimuler par avance toute situation irrégulière».

Jusqu’à présent, il n’a pas été suivi.


Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

Toxic, William Reymond, Flammarion Enquête2007

Une entreprise américaine impliquée dans un procès
controversé en Pologne

Smithfield Foods écrase les petits paysans pour étendre ses parts de marché

POLLUTION PAR L’ÉLEVAGE PORCIN
Ass.asmima.net
Le cochon, le progrès et le rire de l’homme 8 octobre 2007

Le meatrix

Comité pour le Développement durable des Collines par ses Habitants

 
     

     
 
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