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Les triades Chinoises actuelles

Banc Public n° 143 , Octobre 2005 , Frank FURET



Depuis le début de la décennie 1980, les triades sont de retour. Fraîchement réimportées de Chine et de Taiwan, elles ne paraissent n'être plus désormais que de simples organisations criminelles, souvent extrêmement violentes. Pour Jean Baffie ( 1) , c e n'est sans doute pas avant quelques années que l'on pourra se faire une opinion plus juste du rôle social de des « nouvelles triades ». Mais si on veut dès à présent tenter de dépasser ce premier aspect d'organisation criminelle transnationale, il faut accepter que ces sociétés criminelles chinoises peuvent être, au moins jusqu'à un certain point, considérées comme les fers de lance de cette nouvelle diaspora chinoise vers les pays d'Asie, mais aussi d'Europe et d'Amérique, les pays d'Asie du Sud-Est n'étant plus considérés que comme une première étape.


Aujourd'hui, les « sept sours du crime », organisations transnationales issues de Hong-Kong, Macao et Taïwan, représentent la première puissance criminelle au monde. Elles sont partout. Leur mode d'organisation ne délaisse aucune activité humaine liée au crime , estime Roger Faligot (3). La mafia chinoise passe volontiers des accords avec ses homologues régionaux, créant une étonnante division du « travail criminel » à l'échelon planétaire. Ainsi « Cosa Nostra », et ses cousines italiennes se sont aujourd'hui recyclées dans des activités délictueuses de notables, moins dangereuses pénalement. Tout ce qui oblige à se salir les mains et à prendre des risques est sous-traité aux Chinois qui, eux-mêmes, tiennent sous leur coupe des ressortissants albanais ou africains.

Les Triades sont impliquées dans toutes sortes d'activités illicites : extorsion de fonds, trafic de drogue, prostitution, immigration illégale et jeux. Elles opèrent au travers des larges canaux de l'immigration chinoise et ont établi des réseaux aux Etats-Unis et au Canada. Leurs activités s'étendent aussi à l'Europe occidentale : elles opèrent à présent à Amsterdam, à Londres et en Espagne. (2)

Canada

Réputées l'une des mafias les plus dangereuses au monde, les triades chinoises représentent, après les motards, la seconde menace en importance pour la sécurité nationale au Canada depuis le début des années 1990. Trafic de stupéfiants, racket, prêts usuraires, immigration clandestine, contrefaçon, piratage de produits audiovisuels, falsification de cartes de crédit, réseaux de prostitution : pour ces sociétés secrètes criminelles, tous les moyens sont bons pour gagner de l'argent. Elles n'hésitent d'ailleurs pas à utiliser une extrême violence pour arriver à leurs fins. (4) Thierry Cretin rappelle un principe fondamental relié à ces organisations criminelles : « Là où il y a des Chinois et de l'argent, il y a des triades. » Dialecte incompréhensible, peau jaune, yeux bridés, habitudes culturelles étranges, les Chinois ont tout pour effrayer les Blancs. Cette peur de l'étranger, les Chinois la subiront pendant plus d'un siècle au Canada. Racisme, taxe d'entrée, violence, mépris des droits les plus fondamentaux, les Chinois seront, dès leur arrivée en 1858, traités comme des citoyens de seconde classe. D'abord réduits aux tâches les plus ingrates, ils gravissent les échelons de la société pour s'établir comme l'une des communautés les plus riches et dynamiques à la fin du 20e siècle. (5)

Les triades chinoises ou les groupes chinois de passeurs d'immigrants clandestins sont de plus en plus présents et se livrent de plus en plus au grand jour à ce trafic d'êtres humains. (6)

Afrique

Les triades chinoises ont fortement investi le trafic d'ivoire

et celui de la corne de. rhinocéros.(7), « L'Afrique australe accueille aussi une grande variété d'activités de trafic d'êtres humains, des opérations internationales des triades chinoises au commerce transfrontalier de personnes aux mains de syndicats locaux du crime.

Macao

A Macao, les casinos génèrent quelque deux milliards de dollars et constituent les premières ressources de l'enclave. Ils sont la cible privilégiée du crime organisé. L'enclave est régulièrement secouée de crimes crapuleux, meurtres de chefs de gangs, tentatives d'assassinats de divers responsables de l'administration locale. Une violence due notamment au repli sur Macao de la pègre de Hong Kong. En 1996, la police hongkongaise, à la demande de Pékin, avait lancé une vaste opération de nettoyage de la colonie britannique. (9) Le monopole des casinos est revendiqué par le plus célèbre des représentants des triades de Macao, Wan Kuok-koi se vantait en 1999 de disposer sous ses ordres quelque 10 000 hommes au sein d'une organisation secrète du nom de 14K (en référence au nombre de carats que l'on trouve dans l'or traditionnellement traité à Macao). (9)

Corruption

En théorie, tous les chinois sont égaux devant le saint parti et ses organes administratifs, policiers ou judiciaires. En fait, la réalité est souvent entachée de bleu, couleur des billets de 100 yuans à l'effigie, i de Mao et de ses acolytes (le Premier ministre Zhou Enlai, le président Liu Shaoqi et le maréchal Zhu De). Les billets discrètement échangés ouvrent les portes, accélèrent les coups de tampons, règlent les contentieux, retournent les situations, provoquent la bienveillance des officiels ou leur font perdre la mémoire. En 1994, les "cadeaux" ont représenté jusqu'à 5% du coût d'exploitation des sociétés présentes en Chine.

Les revenus d'un officiel sont donc composés d'un fixe payé par le gouvernement d'un variable, proportionnel au zèle que le fonctionnaire met à faire malhonnêtement son travail. Entre fermer les yeux ou devoir augmenter les salaires de la fonction publique, le gouvernement a pour le moment tranché. Tout juste se borne-t-il, périodiquement, lorsque la corruption est trop importante ou trop visible, lorsque les média ont eu vent de l'affaire ou lorsque la personne impliquée est en disgrâce politique, à frapper un grand coup sur la table. Arrestations et exécutions rappellent occasionnellement à tous la règle fondamentale de la corruption: la discrétion. (8)

Stupéfiants

La rétrocession de Hong Kong à la Chine a incité les mafias du sud-est asiatique à venir investir leur argent sale dans la colonie anglaise, à Shenzhen et dans les zones économiques spéciales côtières. L'ouverture, déjà ancienne, des zones frontalières à l'économie de marché, le boom des transports, l'amélioration des moyens de communication facilite le transit des stupéfiants que ce soit au Yunnan, région limitrophe du Triangle d'or ou dans les régions intérieures. Facilités économiques et législatives concernant l'ouverture de sociétés mixtes, absence de régulations et de contrôle concernant ces dernières, corruption généralisée facilitent le flot d'investissements douteux issus du trafic. Les autorités chinoises semblent désormais prêtes à toutes les entorses pour faciliter le décollage du pays et l'enrichissement d'une fraction de la population. Selon l'OGD(10) le transit et le trafic de drogue sur le continent peut-être analysé comme une des conséquences logiques de cette politique. Une autre cause de l'aggravation de la situation, dans le cas précis du transit et de la consommation de l'héroïne, a pour origine les relations étroites que Pékin entretient avec la junte militaire birmane dont les membres couvrent les trafics. (10)

Le cannabis pousse à l'état sauvage dans certaines régions, plus particulièrement au Yunnan et au Tibet. Il fait le bonheur des touristes étrangers, mais il est aussi consommé sur place par certaines minorités ethniques du Yunnan. Une partie de l'opium cultivé à des fins pharmaceutiques dans certaines régions, serait détournée pour être consommée ou pour produire de l'héroïne. La folie des affaires entraînent certaines catégories sociales à trafiquer en dépit de la sévérité des peines encourues. Le chiffre officiel des condamnations à mort ou à une peine de prison à vie pour trafic de drogues, a été de 796 en 1996. Le nombre total d'arrestations dans le cadre de la "Guerre à la drogue", s'élève à 110 000 personnes. Le flot de demandeurs d'emploi transitant par les villes ne cessant d'augmenter, il est difficile de contrôler les petits trafiquants. Les petits entrepreneurs et les "nouveaux riches" dont les revenus augmentent, vont également grossir les rangs des toxicomanes. A Pékin, le quartier des universités, Haidian, semblait alors être le plus touché. Certains membres de la communauté ouïgour qui y vivent et exercent souvent le métier de restaurateurs, se contentaient jusqu'ici de vendre du haschisch. Ils étaient en 1997 passés au commerce d'héroïne, plus lucratif. La consommation d'héroïne, notamment par voie intraveineuse touchant alors aussi bien les régions pauvres de l'intérieur - Shaanxi, Gansu, Ningxia, Mongolie Intérieure - que les zones côtières à fort développement économique. (10)

En 1997, la délinquance liée à la drogue était en augmentation constante, plus particulièrement en milieu urbain mais aussi dans les campagnes où l'on observe une recrudescence de sociétés secrètes à caractères mafieux ou religieux. Elles semblaient impliquées dans le jeu, la prostitution, le trafic de drogues. La presse officielle accuse certains cadres locaux de les protéger. La disparité des salaires entre villes et campagnes pouvant expliquer cette recrudescence de la criminalité. Une autre pourrait être les liens ambigus qu'entretiennent les triades chinoises et le gouvernement de Pékin, toujours selon l'Observatoire Géopolitique des drogues (10)

L'éphédrine, tirée de la plante ephedra vulgaris, qui pousse à l'état sauvage en Chine, notamment dans la province du Fujian, est largement utilisée dans la pharmacopée chinoise. Le système répressif, bien que corrompu, semblait avoir préservé la population chinoise d'une toxicomanie de masse. La Corée du Nord qui, elle aussi, s'est très prudemment ouverte à "l'économie de marché de type socialiste", produisait également du pavot à opium. Une partie de cette production d'Etat destinée à l'industrie pharmaceutique, semblait en 1997, avoir été détournée pour servir notamment à l'achat d'armes. Selon le FSB (héritier de certaines activités du KGB), les centrales d'import/export nord-coréennes Nyna et 888 s'occupaient alors de la commercialisation de la drogue.

Enfin, le Mexique et la Chine ont reconnu, en novembre 1996, l'existence d'un trafic de précurseurs destinés aux Etats-Unis passant par leurs territoires. Des produits chimiques chinois étaient achetés légalement par des sociétés mexicaines et réexportés clandestinement vers les Etats-Unis pour la fabrication d'amphétamines. Un accord visant à mettre fin à ce trafic sera néanmoins signé en présence des présidents mexicain Ernesto Zedillo et chinois Jiang Zemin. (10)

Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

Etat des luttes contre le crime organisé mafieux

Entretien exclusif avec le Professeur Umberto Santino, "Giuseppe Impastato", Palerme, réalisé par Chistian Pose, Tokyo/Palerme, 12 avril 2006

(1) Les Triades chinoises en Asie du Sud-Est : de « phénomène social total » à organisation criminelle transnationale ? par Jean Baffie, directeur de l'IRSEA

(2) LE CRIME ORGANISE TRANSNATIONAL :UNE MENACE CROISSANTE POUR LE MARCHE MONDIAL Rapport Special de M. Kees Zijlstra (Pays-bas) Rapporteur General de L'OTAN

(3)Roger Faligot

(4) Les triades chinoises, menace pour la sécurité nationale Radio canada

(5) Tribulations des Chinois au Canada

(6) Parlement du Canada, travaux des chambres, interpellation 38e Législature, 1re Session, 4 octobre 2004 -Hansard révisé . Numéro 117Jeudi 16 juin 2005

(7) La conservation de la biodiversité Daniel C

(8) 1,2 milliard de Martiens, Benoît SAINT GIRONS

(9) A Macao, les casinos, cibles des Triades L'Humanité

(10) Géopolitique des drogues Recherches financées par la Commission européenne et rendues publiques par l'Observatoire géopolitique des drogues.

 
     

     
   
   


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