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Les Triades Chinoises, un peu d'histoire

Banc Public n° 142 , Septembre 2005 , Frank FURET



Durant le 17 ème siècle, les Mandchous voient leur pouvoir s'étendre et constatent avec intérêt les désordres causés par des rébellions paysanes chez leur très puissant voisin Chinois alors sous la coupe de la dynastie Ming . Profitant des troubles qui agite la Chine, ils lancent une expédition. Arrêtés d'abord par la Grande Muraille, ils parviendront à la franchir grâce à la complicité d'un général Ming estimant qu' alliance avec les Mandchous est le seul espoir de vaincre la rébellion menaçant Bëijing. De fait, les Mandchous infligeront rapidement une défaite aux rebelles et, en juin 1644, ils font route vers la capitale Ming dont ils s'emparent; ils proclament une nouvelle dynastie, celle des Qing (1644-1911); il leur faudra néanmoins 40 ans pour éliminer les forces loyalistes Ming réfugiées dans le sud et pacifier l'ensemble du pays. La première triade remonterait à 1644, à l'époque où la dynastie des Ming s'efface devant la dynastie mandchoue. Un groupe de 108 moines bouddhistes dirige alors une révolte anti-mandchoue dans le sud-est du pays . Ce que l'on appelle aujourd'hui les triades chinoises (des sociétés secrètes souvent impliquées, semble-t-il, dans des affaires criminelles) seraient les héritières de ces sociétés secrètes, groupe de guerriers constitués à
Le terme de " Triade " désigne donc de manière générique des organisations secrètes chinoises. Leur nom dérive des symboles triangulaires qu'elles utilisent fréquemment. Elles sont nombreuses et ont des objectifs variés (sociaux, philosophiques, etc.). Elles présentent des structures très diverses et mouvantes. Les Triades à objectifs criminels sont les mieux organisées, bien que leurs structures se soient assouplies avec les années. Leurs rituels initiatiques se sont eux aussi simplifiés et assouplis.

Elles utilisent des nombres, débutant par " 4 " (chiffre porte-bonheur en Chine) pour désigner les fonctions au sein de leur hiérarchie.

.A l'origine, organisations clandestines luttant contre la dynastie mandchoue des Ch'ing.. Avec l'avènement du communisme certaines d'entre elles se sont expatriées à Taiwan et à Hongkong. La loi sur l'immigration et la naturalisation des exilés chinois adoptée par les Etats-Unis en 1965 stimule l'afflux en provenance de Hong Kong et de Taiwan et permettra aux Triades de s'implanter solidement sur le continent américain.

C'est au cours du siècle dernier qu'elles ont développé des activités criminelles, se répandant rapidement dans tout l'empire et se transformant en organisations pratiquant les trafics les plus divers.

Les Triades ne sont pas organisées de la même manière que les familles historiques comme la mafia. Elles agissent au travers de groupes individuels qui opèrent indépendamment mais capables de collaborer entre eux. Elles sont surtout présentes dans le trafic de drogue, la prostitution, le racket, les piratages audio ou vidéo, la contrebande d'armes et l'immigration clandestine. À l'origine, le symbole triangulaire qui donne son nom aux triades représente l'harmonie entre le ciel, la terre et l'homme. Loin d'être des organisations criminelles, les triades sont d'abord des sociétés secrètes aux rites initiatiques qui utilisent de façon symbolique drapeaux et emblèmes triangulaires. L'orientation criminelle de ces sociétés secrètes s'amorce seulement à la fin du 19e siècle, à Hong-Kong. Certaines triades sont également impliquées dans la révolution de 1911, lors du passage de la dynastie Qing à la République.

L'arrivée au pouvoir des communistes, en 1949, forcera l'émigration des chefs des principales triades vers Hong-Kong, Macao et Taïwan, où elles sont aujourd'hui extrêmement actives. Cependant, rappelons, le, s'il existe des triades criminelles, d'autres, à caractère communautaire ou philosophique, poursuivent de nobles objectifs.

Quelques triades.

Sun Tee On (" Vertu Nouvelle et Paix "), la plus connue et sans doute l'organisation criminelle la mieux organisée du monde. On estime ses effectifs à 60 000 membres dans le monde et 45 000 à Hong Kong, où elle est sans doute la Triade la plus importante. Elle est implantée en Australie, à Macao, en Thaïlande, au Vietnam, au Canada, en République Dominicaine et aux USA (Atlantic City, Boston, Los Angeles, Miami, New York, Philadelphie, Portland et San Francisco)

La "14K" résulte de l'unification des Triades du Sud-Est de la Chine en 1947 par le chef du Service de Renseignements militaire nationaliste, le général Kot Siu Wong. Elle s'installe à Canton, au siège de la Triade Hung Mun, 14 route Po Wah. Le 14 devient ainsi la désignation de la nouvelle Triade. Dès 1949 elle s'établit à Hong Kong où elle est l'une des plus importantes Triades. Elle est implantée en Australie, au Canada, en Chine Populaire, aux Etats-Unis (Boston, Chicago, Houston, Los Angeles, New York), en Grande-Bretagne, à Macao, aux Pays-Bas, à Taiwan, aux Philippines, au Japon.

La "fédération Wo", triade créée en 1908 à Hong Kong est essentiellement présente à Kowloon et dans les New Territories. Ses effectifs se monteraient à 28 000 membres. Elle est implantée au Canada, en Chine Populaire, aux Etats-Unis (Boston, Los Angeles, Portland, San Francisco) et à Taiwan.

La "Bambou Uni", créée en 1956 à Taiwan. Elle est composée de 13 clans, chacun spécialisé dans une forme de criminalité. Elle compterait quelque 10 000-20 000 membres. Elle est active dans les secteurs de la construction, du recouvrement de dettes, de l'usure, des services de gardiennage et des " salons de massage ".Elle est implantée au Canada, au Japon, aux Etats-Unis (Atlantic City, Chicago, Denver, Honolulu, Los Angeles, Miami, New York, Phonix, San Francisco).

La "Bande des 4 Mers", est implantée à Taiwan, qui compterait environ 2 000-5 000 membres. Elle est active dans les secteurs de la construction, du recouvrement de dettes, des services de gardiennage et des " salons de massage ".

La Tian Dao Man, est implantée à Taiwan. Elle compte quelques centaines de membres et s'est spécialisée dans les secteurs du recouvrement de dettes, du gardiennage et des " salons de massage ".

La "Sung Lian", à Taiwan, compte quelques centaines de membres et est spécialisée dans le recouvrement de dettes et les " salons de massage ".

Le "Grand Cercle" basé en Chine Populaire, s'est spécialisé dans de trafic de l'immigration illégale et a des ramifications au Canada et aux Etats-Unis. (1)

Une structure et une organisation de type militaire...

Le comité des officiers est composé de quatre postes : le « Maître des encens » ou « 438 » s'occupe du recrutement et des rituels; « Sandale de paille » ou « 432 » est en charge des liaisons et des communications; « Pôle rouge » ou « 426 » est responsable de la sécurité et de la discipline; finalement, « Éventail de papier blanc » ou « 415 » prend soin des finances et de l'administration. L'organisation traditionnelle d'une triade prend la forme d'un triangle. À la base se trouvent les « soldats », également appelés « 49 ». Leur rôle est d'exécuter les ordres. Ils s'occupent de la sale besogne, l'aspect criminel. Le comité des officiers forme le niveau supérieur et coordonne les activités. Au sommet trône le chef, « Tête de dragon » ou « 489 », qui peut s'adjoindre un sous-chef, « 438 ».Dans la hiérarchie des triades, chaque grade commence par le chiffre 4, un puissant symbole dans la numérologie des triades. En Chine, ce chiffre est un porte-bonheur.

La hiérarchie de la plupart des triades ne comporte qu'un cercle restreint qui tourne autour d'un seul chef, le« 489 », entouré de quelques responsables de la sécurité et de la discipline, de conseillers ou de chefs d'équipes. (2)
A l'origine, un phénomène social total.

Au 19e siècle, les sociétés secrètes chinoises fonctionnaient comme des organisations multi-fonctionnelles. Pour Jean Baffie, il s'agit alors de phénomènes sociaux totaux. Elles sont à la fois agences pour l'emploi, syndicats, sociétés d'entraide, organisations politiques, groupes économiques, phénomènes religieux, etc.

Les sociétés secrètes fonctionnaient comme des syndicats souvent contrôlés par des patrons. Celui qui refusait de devenir membre ne pouvait guère espérer trouver un emploi dans les mines d'étain du sud de la Thaïlande ou les moulins à riz de Bangkok. Mais parfois, comme dans la province de Ranong et celle de Phuket en 1876, ces sociétés encadrèrent des ouvriers en révolte pour obtenir de meilleures conditions de travail. Avec un certain succès.

Les ang-yi ou tua-hia faisaient également office de société d'assurance et d'entraide pour leurs membres. Elles pouvaient honorer les frais d'un procès devant un tribunal, veillaient à ce que les membres emprisonnés reçoivent un traitement décent, s'occupaient de leur personne en cas de maladie, et de leur dépouille en cas de décès.

Les triades ont aussi une dimension religieuse, qui trouve, semble-t-il, ses origines dans le bouddhisme et le taoïsme chinois. Les rituels ont persisté au cours des siècles. En Thaïlande, elles se posaient plutôt en rivales des missionnaires catholiques qui recrutaient traditionnellement dans la communauté chinoise. (3)

Elles auront aussi, très tôt, une dimension politique. Le Docteur Sun Yat Sen devint lui-même membre d'une d'entre elle (en 1904, à Honolulu) et eut l'ambition de les transformer en une organisation révolutionnaire Le premier président de la République de Chine, Sun Yat-sen, était lui-même un « 426 », soit un responsable de la sécurité et de la discipline, de la triade des Trois-Harmonies.. Entre 1903 et 1908, il fit quatre séjours au Siam au cours desquels il contacta les leaders de diverses sociétés secrètes. Cette dimension changea de nature après la révolution de 1911 qui renversa la dynastie mandchoue. L'objectif politique affiché des sociétés secrètes était atteint. Au Siam, la plupart des leaders de triades allaient devenir des protégés des gouvernements européens et constituer ainsi une menace politique d'un autre genre pour les dirigeants.

La dimension économique des sociétés secrètes connaissait des formes très diverses mais était bien réelle. Les leaders des triades étaient souvent à la tête de sociétés - pas toujours légales - de transfert d'argent vers la Chine. Ils pourvoyaient à d'autres besoins des travailleurs immigrés chinois tels que les jeux, les alcools, l'opium et les prostituées. Ces commerces étaient alors légaux (jusqu'en 1959-1960 pour les deux derniers) mais lourdement imposés et, quand les fermiers levant les taxes sur ces produits de consommation et ces « services » n'étaient pas eux-mêmes leaders de sociétés secrètes, ils devaient s'entendre avec eux pour pouvoir opérer dans des zones peu sûres comme les mines d'étain ou les quartiers chinois des villes.

Cependant, au fil des ans, la plupart des activités auparavant prises en charge par la société secrète se dissocièrent de cette organisation totalisante pour s'autonomiser en autant d'organisations séparées. Une analyse approfondie de l'histoire de certaines institutions (sociétés d'entraide, hôpitaux, clubs, partis politiques, sectes, etc.) ne manquerait pas de remonter à quelques fameux leaders de sociétés secrètes. Le cas le mieux connu aujourd'hui de leader de triade est celui de Yi Ko Hong : Fermier des jeux à Bangkok au début du 20e siècle, il reçut le Dr. Sun Yat Sen lors de sa tournée siamoise de 1908 et fut un des fondateurs de la Fondation caritative Po Tek Tung, en 1908 (laquelle gère aujourd'hui un des meilleurs hôpitaux du pays). (3)

Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

Etat des luttes contre le crime organisé mafieux

Entretien exclusif avec le Professeur Umberto Santino, "Giuseppe Impastato", Palerme, réalisé par Chistian Pose, Tokyo/Palerme, 12 avril 2006

(1) Booth Martin, The Triads : The Chinese Criminal Fraternity, London, 1990. Voir le site Terrowatch

(2)Cretin Thierry, Mafias du Monde, Paris, 1998

(3) Les Triades chinoises en Asie du Sud-Est : de « phénomène social total » à organisation criminelle transnationale ? par Jean Baffie, directeur de l'IRSEA 01-04-2005

 
     

     
   
   


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