La mafia Russe: activités

Banc Public n° 133 , Octobre 2004 , Frank FURET



L'ex -U RSS a régulièrement eu cette réputation d'être une « kleptocratie » et rien n'aurait changé depuis la disparition du régime com­muniste, mais il s'agit de rester prudent dans les analyses en l'état des informations disponibles.

On comptait en 1995 plus de 1 300 organisations criminelles dans la Fédération russe (1). Selon une étude publiée par l'Académie des sciences de Russie, le crime organisé contrôlait alors 40 % de l'économie, la moitié du parc immobilier commercial de Moscou, les deux tiers des institutions commerciales, soit au total 35 000 entreprises, 400 banques et 150 sociétés d'Etat (2). Pour les observateurs les criminels russes sont imaginatifs et plus évo­lués que nombre des mafieux du monde. Cela se ressent dans l'étendue du champ de leurs actions criminelles et dans l'efficacité de leurs méthodes. Ils pratiquent le prêt à usure, le vol et le trafic de véhicules volés, le meurtre, le détournement de richesses natio­nales, le trafic d'armes et d'autres spécialités comme la fraude aux télécommunications par clonage des données numériques d'un téléphone cellulaire, au détriment de la com­pagnie de téléphone ou l'escroquerie aux assurances. L'extorsion de fonds fait partie de leur panoplie . Un demi-million de prostituées qui opérant en Europe occidentale sous la tutelle des proxénètes russes et albano-­kosovars, rapporteraient 100 millions de dollars chaque jour.

Blanchiment

La mafia russe brasse des milliards de dollars et les blanchit grâce à leurs compagnies offshore mais aussi grâce aux banques nombreuses qu'ils possèdent. Les ramifications de la mafia russe sont nombreuses et étendues jusqu'au plus haut sommet de l'état comme le reflète parfaitement les accusations de corruption sur la famille Elstine et particulièrement sur sa fille. En 1997, on estimait à 100 milliards de dollars les som­mes sorties du pays depuis la fin du régime soviétique. Le Centre américain d'études stratégiques et internationales chiffrait à 1 milliard de dollars par mois les transferts de fonds douteux de la Russie vers l'île de Chypre. En mars 1996, le ministère russe de l'Intérieur estimait entre 60 et 70 000 milliards de roubles les sommes accumulées et con­trôlées par le crime organisé de son pays. Ces dernières années, une cinquantaine de responsables ou d'employés de banques ou d'entreprises russes ont été tués dans des attentats . Des témoins rapportent que des banques ont été créées le temps de recevoir des aides destinées à des régions en difficultés avant de s'évanouir avec l'argent. L'infiltration du système bancaire russe implique un accès facile à la communauté bancaire internationale qui est ouvert offrant l'opportunité de blanchir les profits illégaux en tout lieu et en tout temps. 60 % des 3 000 banques en activité en Russie seraient contrôlées par des groupes mafieux. La crise russe de 1998 aurait été provoquée par l' évasion de capitaux provenant de l'aide et des crédits internationaux en direction de centres offshore comme Nauru. En 1996, environ 100 millions de US$ en espèces étaient rapatriés quotidiennement des Etats-Unis vers la Russie (3)

Commerce itinérant, pétrole, stupéfiants, armes etc.

En Russie, pour réussir à passer à travers de la crise, il faut presque absolument "brasser des affaires" sous la table, la mafia contrôlant de larges parts de l'économie libre. On trouve de tout sur le marché noir russe. Des vendeurs itinérants, encouragés par l'État, parcourent le monde afin de trouver des biens de consommation à revendre et ce sans payer de droit de douanes. Le gouvernement tolère leurs activités, espérant que ceux qui s'enrichiront investiront dans l'économie locale. Mais ils doivent payer un impôt à la mafia, qui s'est emparée du contrôle d'une importante partie du marché économique russe. Une bonne partie des entreprises essaie de ne pas payer de taxes et tente d'échapper à la pression fiscale afin de réussir à survivre. Elles sont donc illégales et nécessitent la protection de la mafia contre les instances gouvernementales. La mafia, étant donné sa toute-puissance, a fait fuir de nombreux investisseurs étrangers. La mafia étant traditionnellement spécialisée dans le commerce des armes, de la drogue et de la prostitution, elle a maintenant pris place dans l'extraction de pétrole, de minerais précieux, la distribution, le négoce, les transports, le secteur financier et l'immobilier (4) . Quand les nombreuses sociétés étrangères, une fois parties, ont laissé libre les marchés qu'elles exploitaient des mafieux ont reconquis avec leurs sociétés fictives basées dans des paradis fiscaux ces mêmes parts de marché. En 2000, certains estimaient qu' ils avaient acquis un certain monopole et engrangeraient des profits monstres dont une partie étaient reversée aux fonctionnaires payés pour fermer les yeux . Les exportations frauduleuses annuelles de pétrole représente­raient pour les groupes mafieux russes qui les contrôlent un chiffre d'affaires de 15 milliards de dollars. Les fraudes aux taxes sur les carburants ont été mises en place en Californie et à New York. Les mafieux Russes, parvenant à éluder à leur profit des sommes colossales qui devraient revenir à l'État, environ 5 milliards de dollars par an. Les montages qui permettent ces bénéfices sont variés mais un de ceux en vogue consiste à créer toute une série de sociétés fictives qui se revendent entre elles le carburant et lorsqu'il s'agissait de déterminer qui devait payer la taxe, il n'y avait personne. Le niveau de ces fraudes a contraint les autorités américaines à réagir par l'adoption de lois faisant payer la taxe le plus en amont possible.

Les mafias russes tireraient aussi chaque année des mil­liards de dollars du trafic de stupéfiants, marché qu'ils ont pénétré en force aux États-Unis notamment (trafics d'héroïne et de cocaïne.) La Russie est devenue un consommateur colossal des drogues. Selon les statistiques officielles, près de 269 000 toxicomanes seraient enregistrés aujourd'hui, les chiffres réels devant être beaucoup plus importants. La structure du marché change, les drogues de haute concentration, en premier lieu, de l'héroïne afghane , la production des drogues dans le pays augmente y compris des drogues synthétiques bon marché aboutissant ? une dépendance immédiate. Le nombre de laboratoires en Russie s'est accru, ces dernières années, d'une façon considérable. (5)

Le trafic des stupéfiants, en Tchéquie, était l'affaire des gangs des pays balkaniques. Aujourd'hui, c'est la mafia russe qui domine. Les gangs russophones ont bien compris l'intérêt de la pervitine (un stupéfiant typiquement Tchèque fabriqué à partir de divers médicaments) et ont mis la main sur les réseaux de fabrication et de distribution. Par la force, beaucoup plus brutale, la mafia russe a regroupé les fabricants de pervitine en Tchéquie, les obligeant à produire de la drogue de bonne qualité, destinée à l'exportation, vers l' Allemagne principalement. Les gangs russophones décentralisent, aussi, la production. Il y a de moins en moins de laboratoires clandestins dans les grandes villes. Ils se trouvent, plutôt, dans des communes de moindre importance ou dans des endroits isolés. Avec la guerre en Afghanistan, la pervitine est aussi devenue une drogue recherchée sur le marché occidental, l'héroïne faisant défaut. La mafia Russe a également des liens actifs avec les réseaux africains. (6)

Le trafic d'armes constitue une source importante de revenus. L'effondrement du système soviétique et l'absence de contrôle qui s'en est suivi dans bien des domaines ressortissant de la compétence de l'État ont donné la possibilité à des militai­res (avides ou dans le besoin) de vendre leurs équipements. Le marché a connu de la sorte une affluence de matériel militaire ( spatial et nucléaire, y compris des missiles téléguidés, du plutonium pour armes nucléaires et de l'armement conventionnel) qui a été racheté par les mafieux russes qui auraient le quasi monopole des trafics de matériel issus des stocks de l'ancienne Armée rouge.

Les entreprises de protection

10 % du produit national brut de la Russie pro­viendrait du racket d'entreprises ces ponctions obliga­toires ont été érigées en système. Généralement l'entreprise de violence est exclusivement gérée et contrôlée par l'Etat, c'est-à-dire par une autorité publique, et cela à des fins publiques, ne relèvant pas de la sphère de l'entreprise privée. Dans la Russie contemporaine, a u fur et à mesure du développement de l'entreprise privée, de l'augmentation et de l'intensification des transactions, les fonctions du « partenariat imposé » se sont diversifiées. Des « groupes de protection privée » ont participé activement aux négociations d'affaires, offrant des garanties informelles aux transactions et demandant la même chose aux autres partenaires impliqués dans le marché. Ces tâches ont été accomplies aussi bien par des groupes criminels organisés que par la police d'Etat ou par des employés de sécurité agissant de façon informelle. En 2000, les observateurs estimaient que la majorité des grosses transactions d'affaires ne pouvaient être conclues qu'avec la participation de partenaires imposés et grâce aux garanties mutuelles qu'ils offraient. Mis à part la sécurité, le contrôle du risque, le recouvrement des dettes et le règlement des conflits, les partenaires imposés interviennent encore en tant que médiateurs entre les entreprises privées et les bureaucraties d'Etat, aidant les premières à obtenir des autorisations, des licences, des recommandations, des exemptions fiscales, mobilisant les organes étatiques (police, services d'inspection ou contrôle sanitaire) pour faire du tort aux compagnies concurrentes etc.(7)

Les premiers groupes de racketteurs ont été surtout engagés pour assurer la protection physique contre d'autres groupes du même type et pour obtenir le recouvrement de dettes . Un gang de racketteurs « obtient » de l'argent d'une entreprise en lui offrant une protection contre d'autres gangs de même nature. Un groupe criminel « contrôle » une entreprise lorsque, en plus de la protection physique, il y introduit son propre comptable ou son vérificateur. A ce stade, le groupe a quitté le racket pour se lancer dans le partenariat imposé. Enfin quand un groupe d'entrepreneurs « résout » - en usant de la violence - les « problèmes » d'une entreprise, il investit de l'argent dans cette entreprise et introduit certains de ses membres dans le conseil de direction; il devient actionnaire et accroît sa part de revenus. (7)

Pour l'entreprise cliente, ces paiements constituent des coûts de transaction. Un grand nombre de petites et moyennes entreprises russes passent sous le contrôle des groupes criminels, soit en raison de la nature parallèle de leurs propres activités économiques, soit parce qu'elles ont cédé devant les tactiques d'intimidation de ces groupes. Dans la plupart des cas, de toutes les façons, les groupes criminels sont tout simplement plus efficaces que les organes d'Etat dans la résolution des problèmes que doivent affronter quotidiennement les entrepreneurs russes. Une étude datant de 1996 et 1997, faisait apparaître que11% des entrepreneurs reconaissaient avoir amenés à utiliser la force pour résoudre des problèmes ; 42 `% avaient l'expérience de l'usage de telles méthodes ; 53% admettaient effectuer des paiements réguliers pour des services de protection; et plus d'un tiers d'entre eux considérait que le niveau de ces paiements était important".(7)

Depuis l'adoption de la loi fédérale sur "les activités de protection", les anciens officiers de la sécurité d'Elat ont pu légalement entrer sur le marché de la protection privée et des services de surveillance. En 2000 certains experts estimaient à 20%, les anciens cadres du KGB engagés dans le commerce informel de la « couverture » Cette légalisation du commerce de la protection privée a dans le même temps offert de nouvelles opportunités aux groupes criminels. Nombre d'entre eux ont soit créé leurs propres compagnies, soit embauché du personnel des compagnies créées par la police pour leur déléguer une partie du travail.


Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

Etat des luttes contre le crime organisé mafieux

Entretien exclusif avec le Professeur Umberto Santino, "Giuseppe Impastato", Palerme, réalisé par Chistian Pose, Tokyo/Palerme, 12 avril 2006

(1) Le mal Russe. Du chaos à l'espoir", par Hélène Blanc et Renata Lesnik

(2) Michel Chodussovski, in LE MONDE DIPLOMATIQUE - DÉCEMBRE 1996

(3) rapport du GAFI, 28 juin 1996

(4)La pire des mafias, Moscoupolis 2003

(5) Intervention de V.Poutin, au Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, le 28 septembre 2001 ? Moscou

(6) La Dépêche internationale des drogues, Paris, no 45, juillet 1996

(7)Les entreprises de violence dans la Russie post communiste, Vadim Volkov, Politix vol.49,   2000

 
     

     
 
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