(Encore) l'affaire Trintignant

Banc Public n° 123 , Octobre 2003 , Catherine VAN NYPELSEER



Le feuilleton de la rentrée en France n'est malheureusement pas celui que tournait Nadine Trintignant en Lituanie mais pour elle la réalité a remplacé définitivement la fiction. Le cinéma français peut enfin concurrencer les feuilletons américains puisqu'une actrice française connue, fille de personnalités respectées du cinéma français, a été tuée par un chanteur également renommé, dans un pays exotique.

Si certains tentent de se servir de ce drame pour faire progresser la cause des femmes battues - dont Marie Trintignant deviendrait une représentante illustre, emblématique de toutes celles qui se font casser la gueule en toute intimité, puis prétendent être tombées dans l'escalier - les élites françaises n'en sortiront pas grandies du point de vue de la liberté d'expression et du juridisme le plus invraisemblable, aussi détaché des réalités humaines que les habitants des ”les Samoa tels que décrits par la célèbre ethnologue Margaret Mead (les hommes passant leurs journées en réunion dans de grandes cases à discuter de problèmes de cérémonies, de préséance et de procédure, tandis que les femmes font tout le reste: élever les enfants, faire bouillir la marmite, cultiver les champs...).

En effet, la mère de la victime exprimant sa douleur dans un livre écrit sur le coup, pour lequel elle n'a évidemment eu aucune peine à trouver un éditeur, s'est vue opposer une tentative de censure de la part des défenseurs de celui qui a tué sa fille, sous prétexte que les termes "meurtrier" utilisé soixante et des fois, et "assassin" utilisé deux fois dans son livre ont un sens précis dans le jargon juridique (le meurtrier avait l'intention de donner la mort, et l'assassin avait prémédité son crime), et la mère de la victime n'avait donc pas le droit de les employer sans violer la présomption d'innocence qui est l'honneur de tout procès pénal.
Le plus incroyable dans cette histoire, c'est que l'avocat de la famille Trintignant a cru bon de s'engager à ce que les prochaines éditions du livre seront expurgées des deux "assassins", sans que le tribunal parisien saisi ne l'y ait enjoint, ce qui en dit long sur l'état de la liberté d'expression dans une nation qui se prévaut de la Déclaration des droits de l'homme, et qui abrite sur son territoire une juridiction internationale chargée de la faire respecter (la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg).

Le respect de la présomption d'innocence s'impose à ceux qui collaborent professionnellement au procès pénal: les juges, les jurés pour un procès d'assises, le ministère public, les policiers, ainsi qu'aux journalistes dont on attend une certaine réserve pour les faits suceptibles de contestations non encore tranchées définitivement par la justice, pour éviter les lynchages médiatiques souvent irrécupérables et parfois injustes, mais certainement pas aux proches de la victime, qui conservent toute leur liberté d'expression, avec les limites, comme pour les autres citoyens, de la calomnie et de la diffamation, même s'ils ont choisi d'être parties au procès en tant que parties civiles.

Après avoir subi la perte de sa fille, un drame terrible, de plus sous les coups d'une personne qu'elle connaissait, dans un lieu où elle exerçait une responsabilité puisqu'elle était le metteur en scène du film en cours de tournage à Vilnius, on a encore l'indécence de tenter de l'empêcher de s'exprimer sous prétexte qu'elle a reconnu vouloir influencer les juges, alors qu'elle aurait sans-doute du observer une neutralité polie vis-à-vis de son ex-futur gendre ?

Il n'est d'ailleurs pas certain que son livre influencera les juges dans le sens qu'elle souhaite, puisqu'il la fait appara”tre comme une belle-mère dont la relation de proximité très physique avec sa fille de quarante-deux ans n'était sûrement pas simple à gérer pour un candidat-gendre, quel qu'il soit.

Dans cet ordre d'idées, il eut été normal de lui conseiller de ne pas publier son livre à chaud, sans se donner le temps de la réflexion, de laisser décanter ses sentiments. En ce sens, le système médiatique a peut-être abusé de sa faiblesse et de ses passions. A part cela, c'était évidemment à elle de décider comment gérer la douleur et comment tenter d'influencer les juges (ce que font légitimement toutes les parties à un procès, et ce pourquoi les avocats sont rétribués).

Les juges lituaniens qui jugeront du fond de l'affaire (puisque la Lituanie a refusé de se dessaisir au profit de la justice française de ce procès pénal - pour un acte commis sur son territoire, mais dont l'auteur, la victime, ainsi que de nombreux témoins sont des citoyens français) seront sûrement moins sensibles que des juges français à toute la sauce médiatique déversée sur cette affaire depuis le mois d'août.


Catherine VAN NYPELSEER

     
 

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