CETTE CRISE QUI NOUS VIENT D'ASIE

Banc Public n° 75 , Décembre 1998 , Catherine VAN NYPELSEER



L’économie n’est pas une science exacte. Comme la météorologie, elle étudie un système dont le nombre de degrés de liberté est tellement élevé (en tous cas dans un modèle d’économie de marché) qu’il est illusoire de prétendre en maîtriser l’évolution. Par exemple, on peut espérer raisonnablement que l’introduction prochaine de l’Euro soit une bonne chose. Mais c’est seulement lorsque le système fonctionnera réellement que l’on pourra en juger, et en particulier des effets pervers éventuels de cette modification sérieuse de la structure financière du monde. Un élément important est le fait sans précédent que cette monnaie ne sera pas celle d’un État, c’est-à-dire d’une structure politique constituée de différents pouvoirs, comme un Exécutif compétent en matière économique, fiscale, budgétaire ou - dans la version démocratique du concept - d’un Parlement élu doté de pouvoirs réels.

Mais si l’Euro est largement considéré aujourd’hui comme un fait positif, il n’en va pas de même de la tempête financière puis économique que vivent les pays “émergents” d’Asie. Risque-t-elle de contaminer nos vieilles économies fatiguées ou, au contraire celles-ci sont-elles immunisées grâce notamment aux prudentes règles de contrôle des établissements de crédit élaborées au cours des siècles et appliquées en toute indépendance?

Pour Philippe Riès, journaliste français auteur de “Cette crise qui vient d’Asie” (1)qui vient de paraître, cette crise nous concerne à la fois parce que les exportations vers l’Asie orientale représentaient un ballon d’oxygène pour nos économies, mais aussi parce que, d’après l’O.C.D.E., les banques européennes avaient engagé, en juin 1997, l’équivalent de la moitié de leur capital (et 80% sur l’ensemble des pays émergents, y compris la Russie, l’Europe de l’Est, la Turquie et l’Amérique latine), alors que pour les banques américaines il s’agirait de 12,4 et 34% contre 109 et 118% pour les banques japonaises. Pour lui, une défaillance généralisée des pays émergents peut donc faire sauter le système financier mondial (p.23).

Son livre est essentiellement consacré à une analyse économico-politique des différents pays concernés par cette crise, à commencer par celui qui, à son estime, en est à l’origine, le Japon. Ce sont les relations économiques et surtout monétaires entre les États-Unis et le “porte-avions insubmersible” ancré au large de l’Asie qui aurait déstabilisé celui-ci - notamment la pression américaine en faveur d’un yen artificiellement fort depuis 1985 qui conduit la banque du Japon à mener une politique trop accommodante d’argent facile qui crée une “bulle” financière démesurée: les investisseurs japonais se servent comme d’un levier des actifs japonais surévalués - à ce moment la valeur théorique du domaine occupé par le palais impérial à Tokyo est supérieure à celle du marché immobilier de Californie2 - pour emprunter à tour de bras.

A partir de 1990, le Japon renverse sa politique monétaire et opte pour la rigueur, provoquant l’effondrement brutal des marchés boursier et immobilier. En 1993, l’administration de Bill Clinton à peine élu provoque une nouvelle hausse du yen sans relation avec des données économiques fondamentales (pour Philippe Riès les Américains manipulent délibérément le marché financier avec le mythe du yen fort), réussissant finalement en 1995 à casser le système financier japonais pour obtenir une réforme fondamentale de son économie.

En effet, ce pays présenté comme capitaliste lorsqu’il était prospère est à présent décrit comme une économie fermée, extraordinairement dirigiste et bureaucratique. Philippe Riès le qualifie même de... communiste en mettant en exergue la citation suivante: “Le Japon est le troisième pays communiste dans lequel je vis, mais c’est le seul qui fonctionne.” 3

C’est la remontée brutale du dollar face au yen au printemps 1995 suite à un accord entre les États-Unis et le Japon qui mettra en difficulté les pays d’Asie du sud-est, dont les monnaies sont liées au dollar. Ces pays souffrent en outre de faiblesses structurelles: les oligarchies qui les dirigent ne connaissent pas les règles d’une économie de marché: la faillite est un concept inconnu, les pertes sont dissimulées, il n’y a pas de statistiques fiables, le capital n’est pas compris comme devant être rémunéré et il n’est pas interdit aux banques de prêter à leur débiteur de quoi leur rembourser les intérêts d’un emprunt précédent! Par ailleurs les systèmes politiques sont clientélistes, non-démocratiques pour la plupart. Cet aspect est présenté comme fondamental par Philippe Riès dans la gravité des crises économiques subies, alors que les pays où un processus démocratique était en cours comme les Philippines ont beaucoup moins souffert de la crise.

Philippe Riès présente les systèmes économiques et politiques des pays émergents d’Asie orientale, en mettant l’accent sur leurs différences, qui rendent difficile actuellement une union monétaire sur le modèle européen, qu’il préconise. Il valorise les aspects positifs du développement économique de ses pays où régnait une terrible pauvreté. Pour lui, il y a bien eu un miracle asiatique, et le développement économique conduit nécessairement à des réformes politiques. En résumé, le développement économique permet d’obtenir une classe moyenne qui veut conserver sa prospérité et obtient des réformes démocratiques lorsque les oligarchies au pouvoir sont mises en difficulté par une crise économique.

(Citibank)

A l’attention de ceux de nos lecteurs qui suivent également la rubrique OCAPI de diagnostic, le livre de Philippe Riès contient une anecdote amusante sur l’ancien président (retraité) de cette sympathique banque américaine, Walter Wriston: il a co-signé en février 1998 dans le Wall street journal une attaque virulente contre le F.M.I. dont il demandait... la suppression car celui-ci distordrait le marché international de l’investissement (en encourageant les investisseurs à s’aventurer sur des marchés risqués, présumant être renfloués par le F.M.I. au cas où les choses tourneraient mal). Bon. Mais figurez-vous que la Citibank avait été sauvée dans les années 80, lors de la crise de la dette latino-américaine, par l’intervention du F.M.I., après avoir prêté... deux fois son capital au seul Brésil, sans compter les autres pays! (p.342)

Conclusion

C’est un livre intéressant, d’une lecture agréable, qui tente de présenter au mieux des événements que l’auteur a vécu de près, notamment en interviewant certaines personnalités sur place pendant la crise. Il s’agit donc d’un reportage agrémenté d’une analyse des événements visant à en faire apparaître la logique et l’enchaînement, qui se conclut par la promotion des sytèmes démocratiques dans le but d’obtenir une économie qui fonctionne bien.


Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

1) “Cette crise qui vient d’Asie, par Philippe Ries, 425 p, Grasset, novembre 1998
2) Ibid p. 174
3)Fernando Mezzetti, ancien correspondant de “La Stampa” à Moscou, Pékin et Tokyo

 
     

     
 
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