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UN MONDE EMPOISONNE

Banc Public n° 200 , Mai 2011 , Catherine VAN NYPELSEER



L’ouvrage de Marie-Monique Robin, «Notre Poison quotidien» constitue un vaste travail d’investigation sur les méfaits de l’industrie chimique par rapport à la santé des humains dans le cadre de leur alimentation, avec une perspective historique.
Fille d’agriculteurs, elle relate également la difficile prise de conscience par les paysans des dangers des nouveaux modes de production qu’ils ont été incités à adopter.


L’augmentation des cancers

Dans les pays développés, on constate une augmentation de l’incidence des cancers qui ne peut s’expliquer ni par le tabagisme, ni par le vieillissement de la population. En effet, les cancers ne cessent de progresser chez les enfants: le taux a augmenté de 0,9% entre les années 1970 et 1980, puis de 1,3% entre les années 1980 et 1990. Dans les mêmes périodes, la hausse de l’incidence chez les adolescents a été de 1,3 et 1,8% (p. 229). Bien que le cancer ne soit évidemment pas une maladie infectieuse transmissible, l’OMS a jugé en 2006 la situation tellement préoccupante qu’elle a qualifié le phénomène d’ «épidémie de maladies chroniques évitables».



En France, un rapport de l’Inserm de 2008 a estimé l’augmentation du taux de cancers depuis 1980 à 35% chez l’homme et 43% chez la femme, en tenant compte du vieillissement de la population.

Selon le directeur du CIRC, le Centre international de la recherche sur le cancer, 80 à 90% des cancers sont liés à l’environnement et au mode de vie (p. 230). Les facteurs génétiques joueraient un rôle minoritaire, comme l’a montré une étude réalisée en 2000 sur 44.788 paires de vrais jumeaux (qui disposent du même patrimoine génétique) en Suède, au Danemark et en Finlande (p. 231).

Pesticides et cancers

Le lien entre pesticides et cancers est indiqué par de nombreuses études, réalisées notamment sur des agriculteurs en raison de leur exposition professionnelle à ces produits.

S’il faut d’abord noter que les agriculteurs présentent un taux de cancers moyen moins élevé que le reste de la population, certains types de cancers apparaissent plus souvent chez les travailleurs agricoles.

Selon une étude de l’épidémiologiste Aaron Blair en 1992, les agriculteurs présentent un taux plus faible pour les cancers du poumon, de l’½sophage et de la vessie, parce qu’ils ont moins tendance à fumer, mais «ils ont un risque significativement plus élevé d’être atteint d’un cancer des lèvres, de la peau (mélanome), du cerveau, de la prostate, de l’estomac, (…) ou du système lymphatique» (p.94). Cet excès de risque pour des cancers spécifiques suggère un rôle des expositions professionnelles. Pour Aaron Blair, «ce constat peut avoir des implications sanitaires plus larges, car les tumeurs les plus fréquentes chez les agriculteurs sont aussi celles qui sont en augmentation dans la population générale de nombreux pays développés».

Maladies neuro-dégénératives

Il existe une «littérature scientifique abondante suggérant que l’exposition aux pesticides augmente le risque d’avoir la maladie de Parkinson» (p.106). Cette maladie neuro-dégénérative, dont les symptômes sont des tremblements, des gestes rigides et incontrôlés et des difficultés d’élocution, serait causée exclusivement par des causes environnementales, comme l’a montré une étude sur des populations aborigènes des îles Mariannes: après avoir découvert que ces indigènes subissent un taux de cette maladie cent fois plus élevé qu’aux Etats-Unis, les chercheurs découvrirent que la cause en était la consommation de chauves-souris qui se nourrissent notamment de graines d’un palmier appelé cycas, qui contiennent une toxine particulière, laquelle s’accumule dans les graisses des volatiles. L’extinction des chauves-souris dans les îles Mariannes y entraina la disparition de la maladie de Parkinson! (p. 108).

Selon une étude épidémiologique publiée en 2004, la probabilité de développer la maladie de Parkinson augmente avec la fréquence d’utilisation de neuf pesticides industriels, le risque pouvant être multiplié par 2,3. La maladie de Parkinson a été reconnue comme maladie professionnelle pour les agriculteurs en France.

 


La «dose journalière acceptable»

La fameuse dose journalière acceptable DJA aux allures scientifiques représente pour Marie-Monique Robin «l’incroyable amateurisme du système de réglementation censé nous protéger contre les méfaits des poisons chimiques qui entrent en contact avec nos aliments» (p. 254).

Comment la détermine-t-on? On constitue un groupe d’animaux de laboratoire, en général des rongeurs, à qui l’on administre la substance testée à différentes doses en vue de déterminer sa NOAEL (no observed adverse effect level), dose pour laquelle on n’observe pas d’effet toxique.

La durée des études est variable selon le type d’effets recherchés: perte de poids, changements morphologiques, induction de mutations, cancérogénicité, immunotoxicité, neurotoxicité, toxicité pour la reproduction. Elles sont toujours conduites par les industriels cherchant à commercialiser un produit.

Ensuite, les toxicologues divisent la NOAEL en général par un facteur de sécurité qui est en général de cent, pour arriver à la dose journalière acceptable du produit.
Le facteur de cent résulte de la combinaison de deux facteurs dix: un pour intégrer les différences entre les animaux et les humains, un deuxième pour tenir compte des variations entre humains (personnes âgées, femmes enceintes, etc.).
Le facteur de sécurité, et par conséquent la DJA dont il est une composante, relèvent donc «de l’empirisme le plus pur» (p. 253).

L’effet cocktail

Autre problème de ces études toxicologiques: elles ne concernent jamais qu’une seule substance. Selon Ulla Hass, une toxicologue danoise qui travaille sur l’action des mélanges de produits toxiques, «nous devons apprendre de nouvelles mathématiques quand nous travaillons sur la toxico¬logie des mélanges, parce que ce que disent nos résultats c’est que 0 + 0 + 0 fait 60% de malformations…»(p. 414).
Ceci résulte d’un double phénomène: d’une part, les effets toxiques de plusieurs substances peuvent s’additionner, d’autre part ils peuvent entrer en synergie, ce qui peut en décupler les effets.

C’est notamment cet effet qui est considéré comme la cause principale de l’augmentation du nombre de cancers du sein dans les pays développés, selon le toxicologue anglais Andréas Kortenkamp. Il multiplie l’action d’une série d’agents chimiques qui imitent l’hormone sexuelle féminine et sont présents à des doses infinitésimales dans une série de produits, comme les conservateurs alimentaires, les parabens et phtalates se trouvant dans les produits cosmétiques, les pesticides (fongicides, herbicides, insecticides) qui se retrouvent sous forme de résidus dans les aliments, les alkyphénols présents dans les détergents, les peintures, les plastiques…

Les scientifiques et les autorités publiques semblent actuellement prendre conscience de ce phénomène longtemps négligé puisque le Comité scientifique européen de la toxicologie a recommandé en 2004 de prendre en compte l’effet cocktail des molécules qui ont un mode d’action identique, et que, en 2009, les 27 ministres européens de l’environnement ont publié une déclaration commune demandant que l’effet des mélanges soit intégré dans le système d’évaluation des produits chimiques.

Pour Kortenkamp, la tâche est immense puisqu’il y a actuellement entre 30 et 50.000 produits chimiques sur le marché en Europe, dont quelques 500 perturbateurs endocriniens, ce qui fait des millions de combinaisons possibles. Il suggère de procéder de façon pragmatique, en déterminant les substances qui affectent le plus les poissons des rivières, qui représentent un bon indicateur des effets cocktail, pour déterminer les combinaisons de produits à tester en priorité (p.417).

D’autres effets particuliers doivent être mentionnés, comme le moment de l’exposition pour les femmes enceintes: c’est par exemple entre la cinquième et la huitième semaine que se forment les membres du f½tus; dans le cas de la thalidomide, seules les mères qui avaient pris la substance pendant cette période avaient mis au monde des enfants aux membres mutilés.
Les man½uvres des industriels

Le livre relate de nombreux exemples des man½uvres des industriels pour pouvoir continuer à commercialiser leurs produits toxiques: production d’études scientifiques biaisées ne faisant pas apparaître les effets toxiques observés dans les études précédentes conduites par des scientifiques sérieux, manipulation de l’opinion par des messages publicitaires présentant les produits comme sains, etc.

L’aspartame

Dans cette optique, il faut lire les chapitres consacré à l’aspartame, cet édulcorant chimique présent par exemple dans le Coca Light, dont le caractère neurotoxique (il peut provoquer des crises d’épilepsie qui disparaissent dès l’arrêt de la consommation) et cancérigène, comme l’a montré notamment une étude de l’institut Ramazzini: «les résultats de cette méga étude indiquent que l’aspartame est un agent cancérigène multisite puissant, y compris à la dose journalière de 20 mg/kg, qui est bien inférieure à la DJA» (p.321).

L’alimentation biologique

Il existe heureusement une solution pour échapper à tous les poisons, protéger les agriculteurs et faire perdre de l’argent aux empoisonneurs: c’est l’agriculture biologique. Une étude américaine a montré que nourrir des enfants avec un régime bio permettait de faire descendre leur taux de résidus de pesticides à un niveau  pratiquement  indétectable !




Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

NOTRE POISON QUOTIDIEN

La responsabilité de l’industrie chimique dans l’épidémie des maladies chroniques

Marie-Monique Robin Editions La découverte

– Arte éditions 479 p – 24,95 ¤

Mars 2011

 
     

     
   
   


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