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Productivité et environnement

Banc Public n° 237 , Avril 2015 , Frank FURET



Plus augmente la productivité du travail nécessaire, plus il est facile de combiner un maintien voire une hausse du panier de la ménagère avec une réduction du temps de travail. C’est ce dont nos sociétés ont bénéficié dans les deux régimes d’accumulation de l’après-guerre, le fordisme (1950-1975) et le libéral-productivisme (1980-2005).


L’idée de partage des gains de productivité suscite encore un puissant attachement des syndicats et des économistes de gauche (en particulier du côté de «l’école de la régulation», probablement ce qui existe de mieux pour faire de la macroéconomie historique et sociale). Elle a été forgée dans les luttes sociales à l’époque des Trente Glorieuses. Elle avait alors du sens. Quelques exemples issus de tous les secteurs de l’économie devraient aider à la remettre en cause aujourd’hui et plus encore demain: agriculture, énergies renouvelables, commerce, etc.  Pour Jean Gadrey, ce sont autant de secteurs où le plus souhaitable serait que les gains de productivité, tels qu’on les mesure, deviennent négatifs, avec en revanche d’importants gains de qualité et de durabilité exigeant souvent plus de travail et donc de valeur ajoutée monétaire.

 

Pour Gadrey, si la hausse de la productivité du travail nécessaire ralentit considérablement, elle ne pourra pas financer la croissance du temps libre passé à la retraite et en même temps un maintien du panier de la ménagère des actifs. Et si la productivité globale (celle combinée de la Terre et du travail) décroît parce que la Terre est épuisée, ou parce que politiquement on juge prudent de la ménager, alors il faudra affecter plus de travail et moins de Terre (moins d’empreinte écologique) à chaque production, et il restera encore moins pour financer en même temps des retraites plus longues et davantage de pouvoir d’achat.

 

Menaces sur les gains de productivité

 

Jean Gadrey pose un problème en apparence technique, mais ayant aussi des implications politiques. «En gros, la définition générale des gains de productivité du travail c’est: produire les mêmes choses avec moins de travail». Or, pour lui,  dans beaucoup de secteurs, il faudra produire autre chose, autrement, avec plus de travail dans bien des cas. Ce qui fait peser des menaces sur les gains de productivité que l’on peut espérer dans l’avenir, dans le cours de la «conversion écologique» et dans un modèle de développement «soutenable», c’est-à-dire à la fois vert et «industrieux», fondant sa productivité du travail sur la connaissance (recherche, formation, accumulation de savoir-faire).

 

Environnement et gains de productivité

 

Même des intellectuels qui restent à juste titre des références de la pensée écologiste, en particulier André Gorz, ont célébré les vertus libératrices des gains de productivité, vus comme la grande condition d’une réduction forte et continue du travail «hétéronome», au bénéfice du temps libre choisi et des activités autonomes, exercées «sans dieu ni maître».

 

Ce qui n'empêche  pas les critiques adressées aux «mauvais gains de productivité», en particulier ceux qui résultent de l’intensification du travail, ni des arguments visant à distinguer le productivisme et la poursuite des "bons" gains de productivité, ce qui a évidemment du sens dans certaines activités, mais qui pose un problème persistant à l’échelle globale, celle qui compte sur des gains de productivité continus, dans les scénarios sur les retraites, la protection sociale, la dette publique, etc.

 

Jean-Marie Harribey propose même d’inscrire dans la Constitution divers articles, dont celui-ci: «La recherche de gains de productivité n’est autorisée qu’à la double condition de ne pas intensifier le travail et de ne pas détériorer les équilibres écologiques».

 

Les fabuleux gains de productivité ont été largement fondés, via des technologies toujours plus lourdes, sur une exploitation déraisonnable des ressources naturelles, à commencer par les ressources énergétiques fossiles et le climat, mais aussi les terres arables, l’eau, la biodiversité… Ils ont contribué à dilapider ces ressources et ont avancé de plusieurs décennies les «pics» (moments où la production commence à décliner) du pétrole et de la plupart des ressources minières, au détriment des besoins futurs.

 

Produire plus avec autant de travail, c'est la définition des gains de productivité, mais on oublie qu’il faut en général plus de matériaux, d’eau et d’énergie, de pollutions et d’émissions, de sorte qu’on pompe alors de façon accélérée dans des biens communs disponibles en quantité limitée et dont certains sont proprement vitaux. Et c’est un facteur favorable à «l’effet rebond», la croissance des quantités consommées quand les prix baissent du fait… des gains de productivité ; avec nettement moins de ces « gains », l’humanité n’aurait pas franchi, dès la fin des Trente Glorieuses, deux seuils à hauts risques: le dépassement du niveau d’émissions de gaz à effet de serre que la nature peut «recycler» selon ses propres rythmes, et le dépassement de l’empreinte écologique admissible par personne. Pour Gadrey, cette période en a donc ouvert une autre, qui risque d’être longue, où il va falloir faire machine arrière en termes de pression écologique. Les gains de productivité du passé en sont la cause ultime.

 

Productivité et environnement

 

Pour 2020, nous devons réduire de plus de 30% la production de gaz à effet de serre (GES), tout en basculant vers une nourriture plus saine, se rapprochant du bio et du local. En 2020, on produira des bâtiments à énergie positive moyennant la quantité de travail aujourd’hui exigée pour produire des logis passoires thermiques.

 

Pour ce qui est du secteur alimentaire,  on dit qu’en moyenne il faut 40% de travail en plus pour produire bio. Cela signifie-t-il une augmentation de 40% des frais d'alimentation? Quand on mange bio, on mange moins en quantité, mais il faut moins de viande, que l’on peut remplacer par des légumineuses pour l’apport en protéines. Au total, on peut composer des menus bon marché.  La  productivité sectorielle est en baisse, mais le travail nécessaire, pour Gadrey, reste équivalent.

Pour ce qui est des transports, selon la Confédération européenne des Syndicats, le transfert sur les transports en commun à l’horizon 2020 pour  –30% d’émission de GES, c’est 4,5 millions de postes de travail en moins dans la production de véhicules individuels et 8 millions en plus dans les transports en commun (à l’échelle de l’UE): pour Gadrey, c’est «beaucoup de travail en plus pour produire autre chose».

 

Or, si les tramways et bus à gaz deviennent des produits de grande série, la productivité chez les constructeurs va exploser. De même, on verra sans doute se généraliser des systèmes de conduite automatique, les véhicules transporteront plus d’usagers etc. Donc, les gains de productivité futurs seront considérables.

 

Ecosystèmes

 

Concernant la productivité des écosystèmes ou agrosystèmes, le maintien et l'auto-entretien d'une productivité agricole compatible avec le respect de l'environnement est une des bases du développement durable. Il dépend de la diversité des espèces qui constituent l'écosystème, qui est, notamment pour les plantes, un puissant facteur de résilience écologique face au stress.

 

Les effets (indirects et différés notamment) d'un gain de productivité sur le plan du développement durable sont très difficiles à évaluer. On sait maintenant ce qui fait des services écosystémiques des facteurs de productivité, qu'il n'est cependant pas possible d'évaluer avec les outils de l'économie classique.

 

Concernant la productivité du travail ou du capital non naturel, dans une approche économique néoclassique, la productivité est évaluée par rapport aux seuls facteurs de production capital et travail, mais elle ignore la quantité de ressource naturelle employée pour la production des biens ou des services. Ceci est la conséquence de modèles économiques qui ont été élaborés à l'origine au XIXe siècle (école néoclassique), alors qu'on ne connaissait pas de limite à l'exploitation des ressources naturelles. Aujourd'hui, la situation est bien différente, puisque nous savons que nous allons vers un épuisement des énergies fossiles et de diverses matières premières, ce qui se traduit par le fait que l’empreinte écologique globale de l'humanité dépasse la capacité de la Terre à renouveler les ressources naturelles.

 

Productivité et développement soutenable

 

Certains argüent que des gains de productivité à partager, il va encore y en avoir, et c’est une bonne chose, il ne faut pas confondre gains de productivité et productivisme. Ils ont évidemment raison si l’on examine de façon fine certains types de production et d’activités: ici ou là, et même un peu partout, il y aura de vrais gains de productivité écologiquement et socialement défendables, donc non productivistes. Mais, selon Gadrey, ils ont tort globalement, car, si l’on fait le bilan, il y a nettement plus de secteurs où la quête de gains de productivité est devenue destructrice de qualité et de durabilité que d’activités où elle reste souhaitable et facteur d’émancipation sans abîmer la nature.

 

Dans la réorientation sociale et écologique souhaitable, où trouverait-on des gains appréciables de productivité du travail? Partout où l’on peut envisager de produire les mêmes quantités avec moins de travail sans augmenter la pression écologique, et, si possible, en la réduisant. Exemples: un développement de l’agriculture «propre» permettrait, par une meilleure organisation collective (économies d’échelle coopératives) et par des recherches en agro-écologie, de produire plus de bons produits par heure (et peut-être par hectare), tout en respectant les équilibres écologiques. Cela contribuerait par exemple à rendre le «bio» plus accessible. De même pour les énergies renouvelables, la construction et la réhabilitation des bâtiments, les transports collectifs peu polluants, le commerce de proximité, etc. D’autres exemples existent, dans l’industrie et certains services.

 

Agriculture bio et productivité

 

L’agriculture biologique ne rime pas forcément avec un faible niveau de production. Ainsi, en Suède, l’élevage laitier des Jakobsson, qui ont choisi l’agriculture biologique depuis 1996 pour ne pas avoir à épandre de produits chimiques, prouve le contraire: plus de 90% de réussite en première insémination artificielle, pas de mammites ni de cellules, pas d’antibiotiques, aucun veau mort,… à 300 km au sud de Stockholm, près de la moitié de leurs voisins éleveurs sont également en bio; une filière qui représente aujourd’hui 12,5% du lait du royaume. Avec un supplément de prix d’environ 80 €/1.000 litres, le système «bio intensif» séduit de plus en plus d’éleveurs suédois.

 

Robots et mauvaises herbes

 

Qu'il faille détruire les «mauvaises herbes» ou adventices, tout jardiner le sait: elles prennent la lumière, l'eau, les nutriments et l'espace au détriment des plantes qu'on veut cultiver. Sans parler des semences qu'elles ne manqueront pas de semer à tout vent. Chacun sait aussi qu'il existe plusieurs méthodes pour s'en débarrasser: chimiques, non chimiques, intégrées ou, le plus souvent, une combinaison de ces moyens. L'idée d'essayer de faire détruire ces adventices pas des robots n'est pas neuve. Il en existe déjà sur le marché, mais ils ne sont utilisables que quand on connaît a priori l'écartement entre les lignes et entre les plantes.

 

Futuribles a abordé le thème de la robotique fin 2010, et y a consacré le tir groupé d’un éditorial et de trois articles. Le monde change, l’agriculture aussi. Comme chaque entreprise, elle cherche à répondre aux attentes légitimes des consommateurs et des citoyens, notamment en matière d’environnement et de santé publique. Mais pour continuer à se transformer, encore faut-il que la société lui confirme sa mission: nourrir le monde d’une façon qui respecte les richesses naturelles et développe les territoires.

Frank FURET

     
 

Biblio, sources...

"Productivité et environnement ne sont pas incompatibles !", Guy Vasseur, 13/09/2012, www.echo.fr

"La Suède laitière: chez les Jakobsson, lait bio intensif et robots de traite font très bon ménage"

par Robin Vergonjeanne, Terre-net Média , 28/03/2014

"Le robot des plantes", Relexions ulg

"La gauche et la productivité", Jean Gadrey, Alternatives économiques, 22/06/2013

 
     

     
   
   


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