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Agriculture chimique: vers les poubelles de l’histoire

Banc Public n° 269 , Septembre 2018 , Catherine VAN NYPELSEER



L’excellent livre d’un agriculteur-agronome français, «Paysan Résistant !»(*) apporte une contribution décisive au débat public sur l’agriculture. Non, nous n’avons absolument pas besoin de l’agriculture chimique et transgénique pour «nourrir la planète» !


Cette agriculture prétendument à la pointe du progrès gaspille les ressources, pollue, détruit les sols, les plantes, les animaux, les humains, favorise les inondations et le réchauffement climatique, alors que de magnifiques alternatives existent, sans aucun produit chimique de synthèse (insecticides, désherbants, engrais azotés…), sans dangereuse manipulation du vivant (OGM etc.), et par-dessus le marché, bien plus rentables ! La nouvelle agriculture décrite dans ce livre «coopère avec la vie, plutôt que de sans cesse chercher à vouloir la mettre au pas» (p.27).

 

L’ouvrage de Benoît Biteau est d'abord un formidable message d'espoir, qui présente notamment la reconversion exemplaire, brillamment réussie, de la ferme familiale, territoire pourtant massacré par l'agriculture chimique dite productiviste depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

 

Il s'agit également d'un vibrant appel au soutien et à la lutte vers les citoyens, consommateurs des denrées produites, usagers de l'air et de l'eau pollués, riverains des paysages, financeurs par leurs impôts des discutables aides de la PAC (politique agricole commune de l'Union Européenne) et des budgets bien plus importants encore de réparation des dégâts de l’agriculture intensive (épuration, inondations, réchauffement climatique, perte de la biodiversité, santé…).

 

En effet, les industriels de la chimie et des semences, et leurs zélateurs employés par les structures parasitaires comme les coopératives qui vivent de la commercialisation de ces produits toxiques et des semences sur le dos des agriculteurs qu'ils ont transformés en valets de l'industrie chimique et biotechnologique, tiennent le haut du pavé dans le débat public du fait des importants moyens qu'ils peuvent consacrer au lobbying.

 

Une étude de chercheurs de l’INRA (Institut national de recherche agronomique français) vient par ailleurs d’être publiée dans la revue scientifique Nature Sustainability, qui démontre pourtant que la régulation naturelle en agriculture biologique est plus efficace que l’emploi des pesticides pour protéger les cultures (www.lefigaro.fr du 21/08/2018)!

 

Parcours du combattant

 

Si, sur l’aspect des techniques agricoles, la démarche mûrement réfléchie de l’agronome issu d’une famille paysanne s’est déroulée sans accrocs, sur le plan administratif, c’est une autre histoire : le parcours de Benoît Biteau a fait l’objet d’un véritable sabotage administratif souvent surréaliste, dont il affirme qu’il a vécu ces attaques comme «une reconnaissance, une validation et une légitimation» de son engagement. «Je dois être sur la bonne voie pour qu’ils se sentent menacés par les avancées que je propose» (p. 17).

 

Il attribue ce harcèlement au syndicat agricole dominant en France, la FNSEA. Dans le chapitre intitulé «L’adversité me renforce : heureusement !» (pp. 153-158), il explique combien le soutien en 2015 de 40.000 signataires d’une pétition, dont certains ont apporté également un soutien financier – lui a été précieux (dans une affaire d’interprétation farfelue par l’administration de la réglementation, qui aboutit arbitrairement à priver sa ferme de subsides à l’agriculture biologique au motif qu’elle avait perçu des aides pour l’arrêt de l’irrigation – interprétation pourtant rejetée par écrit par le Ministre français de l’agriculture !).

 

Sabotage administratif

 

Après avoir fait l’objet de chausse-trappes surréalistes visant à empêcher son installation, comme l’imposition de lourdes cotisations sociales… pour une année au cours de laquelle il n’avait pas pu démarrer son activité - 

l'ordre du jour de l'instance départementale chargée de délivrer l'autorisation d'exploiter les terres, ainsi que les primes à l'installation et les prêts bonifiés – une péripétie heureusement sanctionnée de dommages-intérêts conséquents par la Justice, il vient encore de défrayer la chronique en menaçant sur son blog de déclarer sa ferme en faillite au 31 août 2018 si les aides européennes de la PAC que l’Etat français doit depuis 2015 à sa ferme (environ 70.000 €) n’étaient pas versées.

 

Ce scandale, prétendument dû à un problème de logiciel informatique (!), touche toute la filière de l’agriculture bio française, alors que les sommes en question ont bien été versées à temps par l’Europe à la France au titre de la PAC (et par la France aux agriculteurs conventionnels).

 

Qu’est-ce que l’administration française met ainsi en danger (emprunter 70.000 € coûte très cher, les aides PAC sont intégrées au prix de marché des productions agricoles) ? Un modèle démontrant la faisabilité de la reconversion d’un territoire massacré par l’agriculture «moderne», à la pointe de… l’aberration économique, qui épuisait les sols, privait via l’irrigation asséchant le fleuve côtier le bassin des huitres de Marennes-Oléron de l’apport en eau douce nécessaire aux naissains d’huitres, tout cela pour produire du maïs servant à nourrir un bétail enfermé dans des hangars, qui se porte bien mieux quand il mange de l’herbe en gambadant dans les prés.

 

Succès de la conversion

 

Les changements que Benoît Biteau imprime lorsqu’il reprend la ferme familiale en mars 2007 forment un ensemble cohérent, dont toutes les mesures doivent, pour lui, être mises en œuvre simultanément.

D’une part, il arrête:

- les monocultures;

- l’irrigation;

- le labour;

- les substances de synthèse, pesticides ou engrais, qui sont selon lui «des biocides qui dévastent la vie des sols».

D’autre part, il introduit:

- la certification en agriculture biologique de toute l’activité (cultures et élevage);

- les semis directs sous couverts vivants, technique avec laquelle les sols sont «en permanence couverts et enrichis par des cultures intermédiaires dans lesquelles sont semées (…) les semences de la future récolte» (p.116);

- des prairies;

- de l’élevage pour valoriser ces dernières et fournir de l’engrais naturel pour les cultures;

- des semences et races d’animaux locales, donc adaptées au milieu;

- l’agroforesterie, c’est-à-dire plantation d’arbres dans les parcelles, entre lesquels sont placées les cultures - qui sont désormais toutes destinées à l’alimentation humaine puisque les herbivores mangent désormais… de l’herbe! Les arbres aident à la vie des sols et constituent une garantie auprès des banques grâce à la valorisation du bois.

 

Bon sens paysan

 

Tout au long de son livre, Benoît Biteau fait référence au «bon sens paysan», combattu par les tenants de l’agriculture soi-disant «moderne». Il trouve à travers sa formation d’ingénieur agronome la justification scientifique de connaissances intuitives transmises par ses grands-parents, qui avaient connu une grande réussite dans l’exploitation traditionnelle de ce même territoire avant la guerre. Cela concerne en particulier l’utilisation des arbres et leur travail de valorisation des sols et des écosystèmes, l’association de l’élevage et des cultures, l’utilisation le de l’azote présent naturellement dans l’air en lieu et place des engrais azotés polluants produits à grands renforts de pétrole…

 

Transhumance

 

Sur la suggestion d’un ami, l’agriculteur réalise deux fois par an, accompagné de nombreux bénévoles, la transhumance à pied de son bétail vers le marais poitevin. A l’exception d’un taureau reproducteur au caractère bien trempé qui exige d’être déplacé en bétaillère, les animaux sont bien moins stressés par ce mode de déplacement ancestral. Ce taureau, qu’il affectionne particulièrement, a d’ailleurs fait l’objet d’une souscription publique pour qu’il ne soit pas réformé (c’est-à-dire conduit à l’abattoir) en fin de carrière, et a également fourni la superbe illustration de couverture montrant la complicité entre le paysan-agronome et ce bel animal rustique.

 

Ce n’est sauf erreur pas mentionné dans le livre, mais on apprend et on voit via une vidéo disponible sur internet que la traite des animaux laitiers est réalisée à la main dans cette ferme, ce qui ne prend pas plus de temps et favorise la relation humains-animaux.

 

Benoît Biteau, spécialiste de génétique qui fréquente le grand scientifique Jacques Testart, et de préservation de races d’élevage menacées de disparition, développe également un plaidoyer en faveur des races rustiques, bien adaptées à un territoire donné, moins sujettes aux maladies.

 

Un ouvrage politique

 

Parmi ses nombreuses qualités, ce livre dépasse la simple description d’une expérience agricole ou d’un parcours professionnel atypique pour élargir le débat en ce qui concerne les politiques agricoles et l’avenir de la PAC.

 

Si d’aventure M. Macron cherche un nouveau ministre de l’agriculture pour la France, il dispose ici d’un expert capable de mettre en œuvre des politiques novatrices, comme il l’a fait avec succès à l’échelon régional lorsqu’il était vice-président (Radical de gauche) de la région Poitou-Charentes.

 

 

Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

(*) PAYSAN RÉSISTANT!

par Benoît BITEAU

Éditions Fayard

Février 2018

296 p., 21,70€

 
     

     
   
   


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