Effondrement

Banc Public n° 271 , Novembre 2018 , Catherine VAN NYPELSEER



Notre civilisation est-elle pérenne? Il semble bien que non, et l'ouvrage de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, "Comment tout peut s'effondrer", nous le fait ressentir sur la base de raisonnements scientifiques et sociologiques argumentés. Notre intuition nous trompe en nous suggérant que tout va continuer comme avant. Notre raison nous indique que ce n'est pas possible : nos ressources sur la planète terre sont limitées, alors que notre consommation augmente de façon exponentielle, pratiquement illimitée.

 

Les deux auteurs cherchent à établir la nécessité et les fondements d'une science de l'effondrement, qui permettrait de mettre des mots et de modéliser ce que nous risquons de vivre bientôt : l'écroulement de toute notre civilisation basée sur une exploitation irraisonnée de ressources qui sont en voie d'épuisement.

 

Comment survivront la majorité des êtres humains des pays développés, élevés "hors sol" et donc incapables de se nourrir, se vêtir, construire leurs maisons, au cas où le système économique dont ils dépendent s'effondrait?

 

Les auteurs distinguent deux types de limites : celles qui sont infranchissables, comme la limite opposée par la disponibilité d'une quantité fixe d'une ressource, notamment le pétrole, et celles, franchissables dont on réalise seulement, après les avoir transgressées, de la situation désastreuse dans laquelle on se trouve, typiquement le cas du climat et des multiples boucles de rétroaction qui l'influencent de manière irréversible.

 

La fin du pétrole

 

Les données sur le pétrole sont faciles à appréhender. On sait qu'il s'agit du "carburant principal pour nos transports modernes, donc le commerce mondial, la construction et la maintenance des infrastructures, l'extraction des ressources minières, l'exploitation forestière, la pêche et l'agriculture. Avec une densité énergétique exceptionnelle, facile à transporter et à stocker, d'utilisation simple, il assure 95% des transports"(pp 41-42).

 

Pour "maintenir notre civilisation en état de marche, il faut sans cesse augmenter notre consommation et notre production d'énergie. Or, nous arrivons à un pic.

Un pic désigne le moment où le débit d'extraction d'une ressource atteint un plafond avant de décliner inexorablement. C'est bien plus qu'une théorie, c'est une sorte de principe géologique : au début, les ressources extractibles sont faciles d'accès, la production explose, puis stagne et enfin décline lorsqu'il ne reste plus que les matières difficiles d'accès (…).

 

La moitié des vingt premiers pays producteurs, représentant plus des trois quarts de la production pétrolière mondiale, ont déjà franchi leur pic (…). Dans les années 1960, pour chaque baril consommé, l'industrie en découvrait six. Aujourd'hui, avec une technologie de plus en plus performante, le monde consomme sept barils pour chaque baril découvert" (p. 44).

 

Dégradation du climat

 

Même avec un arrêt total et immédiat des émissions de gaz à effet de serre, le climat continuerait à se réchauffer pendant plusieurs décennies (sous l'effet des gaz déjà émis). Si le taux de CO2 atteint 500 ppm (nous sommes arrivés à 400 ppm depuis mi-2013), la majorité de la "surface terrestre se transformera en désert et en brousse, laissant un reste de civilisation de quelques millions de personnes dans le bassin arctique et le Groenland", selon James Lovelock (p. 74).

Le célèbre climatologue James Hansen et son équipe ont calculé un scénario selon lequel "nous parviendrions à brûler un tiers des réserves prouvées au rythme actuel, soit en moins d'un siècle". Cela nous mènerait à "une température moyenne globale de +16° C, c'est-à-dire +30° C aux pôles et +20° C sur les continents. A cette température, le monde deviendrait inhabitable pour la plupart des êtres vivants".

 

Mais ce scénario est irréaliste : en effet, "bien avant que cela n'arrive, la circulation des courants océaniques pourrait se modifier, comme elle l'a déjà fait dans le passé, créant un risque d'anoxie dans les profondeurs océaniques" (p. 76). On pourrait alors observer une "prolifération de bactéries produisant de l'hydrogène sulfuré", un gaz qui détruit la couche d'ozone et rend l'atmosphère irrespirable, ce qui anéantirait l'essentiel de la vie marine et de la vie terrestre.

 

Stades d'effondrement

 

Un ingénieur russo-américain, Dmitry Orlov, qui s'est fait connaître par son étude de l'effondrement de l'Union soviétique, a proposé un cadre théorique décomposant les effondrements en cinq stades de gravité croissante.

 

L'effondrement financier "se produit lorsque l'espoir d'un business as usual est perdu": le risque ne peut plus être évalué et les avoirs financiers ne peuvent plus être garantis; les institutions financières deviennent insolvables, la confiance, ainsi que la valeur de la monnaie, s'évanouissent rapidement (p. 188).

 

L'effondrement économique est lié à la perte de l'espoir que le marché y pourvoira : les marchandises s'entassent, les pénuries de biens essentiels deviennent la norme; les échanges commerciaux diminuent drastiquement, l'économie se "décomplexifie". L'économie informelle se développe: troc, réparations, recyclages, brocantes…

 

L'effondrement politique est corrélé à la perte de l'espoir que le gouvernement s'occupera de vous. Après l'échec des mesures économiques prises par le gouvernement, la classe politique perd sa légitimité. Pour maintenir l'ordre, les gouvernements imposent des couvre-feux, des lois martiales. La corruption locale remplace les services autrefois rendus par l'administration. Les routes ne sont plus entretenues, les ordures plus évacuées…

 

L'effondrement social représente la fin de l'espoir que vos pairs s'occuperont de vous. On entre donc dans un monde de bandes claniques, de guerres civiles et de chacun pour soi. Un processus de dépeuplement se met en place à cause des conflits, de la malnutrition et des famines. A ce stade, "mieux vaut donc peut-être faire partie d'une des petites communautés encore soudées dans lesquelles la confiance et l'entraide sont des valeurs cardinales" (p. 190).

 

L'effondrement culturel est consécutif de la perte de la foi dans la bonté de l'humanité. "Les gens perdent leur capacité de gentillesse, de générosité, de considération, d'affection, d'honnêteté, d'hospitalité, de compassion, de charité". Il devient de plus en plus difficile de s'identifier à l'autre, ce qui entraîne une perte d'humanité.

 

Le dernier stade ajouté plus récemment par Orlov à son modèle est celui de l'effondrement écologique: à ce stade, "la possibilité de redémarrer une société dans un environnement épuisé serait très faible"…

 

L'homme à la cervelle d'or

 

La dramatique évolution tracée dans ce livre pour notre planète, notre civilisation humaine et même pour l'ensemble de la vie sur la Terre nous a fait nous remémorer un conte d'Alphonse Daudet de 1860, "La légende de l'homme à la cervelle d'or" (Lettres de mon moulin). Dans cette nouvelle insoutenable, un enfant né avec un cerveau en or l'apprend par ses parents à l'âge de dix-huit ans. Ensuite, tout au long du conte, il emploie cet or pour faire plaisir à ses parents puis à sa femme. Il meurt en raclant les dernières parcelles d'or de sa tête!

 

De la même manière, nous consommons notre planète sachant que la vie en disparaîtra du fait de cette utilisation insoutenable, et nous avec.

 

Frugalisme

 

Certains sites d'information ont signalé un mouvement nouveau dont les participants veulent vivre le plus frugalement possible. En Allemagne ou en France, des individus cessent de travailler bien avant l'âge de la retraite et s'efforcent de vivre avec très peu d'argent.

Le temps libéré des contraintes de l'emploi permet de réfléchir à notre futur, de tenter de le préparer.

 

Conclusion

 

C'est extraordinaire comme le livre de Servigne et Stevens permet de prendre conscience des grandes ruptures d'équilibre qui menacent l'avenir de notre écosphère ainsi que les différentes civilisations humaines, et même la vie telle que nous la connaissons.

 

Puisse ce constat enfin accepté favoriser l'élaboration de solutions aux différentes problématiques soulevées, nécessitant des changements majeurs de nos modes de vie. Paradoxalement, pour les deux auteurs, les sociétés qui supporteront le mieux les turbulences annoncées sont celles qui sont restées à l'écart de la mondialisation, de ses interconnexions et dépendances, et qui ont conservé une autonomie et leurs mécanismes de solidarité interne.

 

 

 


Catherine VAN NYPELSEER

     
 

Biblio, sources...

Comment tout peut s'effondrer

Petit manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes

Pablo Servigne & Raphaël Stevens

Editions Seuil

Avril 2015

270 p., 19 €

 
     

     
 
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